jeudi 6 octobre 2022

S'anonymer [Croc-Circle Saison 4]

Bonjour à tous !


La dernière publication sur ce blog date d'il y a... pfffiuuuu fort fort longtemps et quid de Croc-Circle. Mais je vous propose une reprise de la saison 4 de Croc-Circle. Un chapitre jamais publié... Je continue donc à bosser sur la série, en dilettante, il me faut bien l'avouer.


Bref, ce chapitre est loin d'être parfait, il n'est pas corrigé non plus. Pardon pour les répétitions et les fautes qui peuvent traîner ici ou là. Toutefois, si je devais  dévoiler un texte sans fioritures ce post existerait possiblement mais dans fort fort longtemps ^^

N'hésitez pas à me faire un retour de lecture...

Merci à vous !


S'anonymer

C'est toujours dur les repas de famille, c'est comme un coup de massue que tu te prends en pleine gueule, en plein cœur…


J'étais arrivé au milieu de l'après-midi, retrouvant ainsi les routes l'Allier, lieu de la première attaque que j'avais souffert, un léger frémissement remonta le long de mes bras avant de gagner mon corps entier. En y repensant je me dis que nous avons eu de la chance de n'avoir pas connu de perte ou plus de dégâts ; l'expérience. Je ne vis personne en arrivant à la salle des fêtes, les voitures de mes frères et mes parents étaient là, mais personne dans la cour. J'ai garé la mienne et toqué timidement à la porte avant de pénétrer dans la pièce. Ma mère déroulait le centre de table, elle ne m'avait pas entendu me laissant ainsi le temps de la contempler. Elle était belle ma mère ; ses cheveux mi-long légèrement ondulés se balançaient le long de son visage tandis qu'elle s'affairait à créer une décoration légère mais néanmoins élaborée. Je décidais de signaler ma présence par un toussotement, elle se retourna, surprise, je crus qu'elle allait défaillir, elle trouva la chaise la plus proche et s'assit. 

– F… Fr… Fred ?

– Maman…

Et les autres arrivèrent d'abord un petit bonhomme roux suivit par une demoiselle au visage tout en blondeur et dans la foulée mon père mes belles-sœurs et mes frangins.


Effusion de sentiments tout en retenue aux retrouvailles avec mes parents, la joie de les revoir, un voile d'inquiétude s'évaporant de leur visage en me découvrant là, peut-être n'avaient-ils pas cru que je viendrais malgré mon SMS. 

Tomber dans leurs bras ; redevenir un gamin l'espace d'une seconde. Les questions fusent, signe du silence radio, ne pouvant donner le moins d'informations possible j'appose un doigt sur mes lèvres, mon père semble comprendre plus vite et cesse son flux interrogatif tout en serrant le bras maternel. J'apprécie leur sollicitude et m'en veux de leur imposer cette situation. Je leur apporte néanmoins quelques nouvelles rassurantes (il y en a, des poussières certes, mais tangibles), notamment l'existence de Marie-Lou ce qui les ravit comme prévu. Ils me pensaient seul, sans personne à aimer ou se préoccupant de moi, désormais ils savent et ça fait du bien de croire que ça les rassure. Ils auraient aimé la rencontrer, moi de leur présenter…


Un café quelques biscuits pris à la va-vite pour se créer une bulle, une atmosphère. Prendre des nouvelles de chacun, de ces p'tits loups que je ne connais pas. Mais très vite l'heure nous rappelle que la fête approche et qu'il y a tant à faire. Du coup on se retrousse les manches ; on cuit, on épluche, on coupe, on tranche, on mélange, on goûte, on agrémente en fonction de ce qu'il manque. Les aiguilles accélèrent encore leur course ronde, il est dix-huit heures et les invités doivent arriver dans une heure. Dernière touche, on confie aux enfants le soin de mettre sur la table des petites boîtes de bonbons sur les tables… Vils tentateurs que nous sommes, nous les observions à la dérobée pour connaître le nombre de sucreries qu'ils boulotteraient avant la dernière table. Malheureusement pour nous impossible de les "fâcher" ils n'en chipèrent aucun et revinrent vers nous tout sourire… Foutus gnomes ! Déçus, nous nous changeâmes rapidement. Avant d'accueillir les convives.


Ceux-là arrivèrent à l'heure dite, beaucoup de famille quelques amis de mes parents, pour certains je n'avais pas l'impression de les connaître. Peut-être les avais-je croisés une ou deux fois.


Après il faut saluer les autres, faire la conversation, sortir de la micro zone de confort qui s'était créée, l'agrandir en quelque sorte.


Les "Oh ça faisait longtemps" les "je t'aurais pas reconnu", tu les reçois de plein fouet, tels des uppercuts dans la face, ça te tourneboule, ça sonne comme un reproche, oui, mais à qui ? À l'émetteur ou à toi, aux deux peut-être ? C'est ainsi, chacun sa vie, ses hauts, ses bas, ses courses et ses défaites. Toutefois, on se les "partage", tentant de renouer un je-ne-sais-quoi.

La vie nous éloigne à deux cents à l'heure sur une route de campagne, les liens soubresautent, se fendillent, se fissurent. Alors, à l'occasion, on s'efforce de recoller les morceaux comme on trinque avec une bouteille. Pareilles aux résolutions du Nouvel An, on tient deux, trois jours au plus et on oublie…


En attendant tu essayes d'être entier malgré les questions, pourtant en toi il y a cette impossibilité, tu réenfiles ce costume de pas-toi, celui possédant une histoire cousue de toutes pièces avec des mèches de fil blanc, affichant un sourire attendrit face aux bonnes nouvelles, une moue un peu triste ou sérieuse en fonction du propos et tu ris pour donner le change à la moindre occasion. 

Je me donnais une contenance lors de l'apéro en enquillant les verres, certes l'alcool n'avait guère d'effet sur moi cependant boire limitait les conversations. 

Le second dérivatif vint de mon cousin ayant amené sa petite chienne qui me permit d'éviter de répondre si les questions risquaient de mettre à mal mon mensonge. En effet, le chiot s'aplatit au sol dès l'instant où je m'étais approché d'elle et me présentait sa gorge en signe de soumission. Du coup dès qu'il me fallait abréger une conversation ou changer de sujet j'émettais un grognement en basse fréquence l'attirant immédiatement vers moi.


Néanmoins, les "il faut que nous nous voyions plus souvent, ne pas se perdre de vue, ce serait dommage, nous sommes une famille…" font se craqueler, se déchirer ce qui se trouve sous ton habit de pas-toi… Oui, ils ont mille fois raison on s'éloigne, la famille devient une quasi-inconnue dans le paysage, ses membres des étrangers… C'est le Temps, la Vie qui nous centrifugent tous, ou alors juste moi. J'espère que c'est juste moi…


Car comment leur expliquer qu'aujourd'hui on ne devait ma présence qu'à un moment d'égarement et surtout de faiblesse de ma part. Ils me manquaient, j'avais besoin de faire une pause, un break, un instant de répit et d'inspirer une énorme bouffée d'air frais (il caillait quand même pas mal ce jour-là), mais que ma simple présence les mettait possiblement tous en danger. Impossible de leur révéler ce que j'étais, ils ne m'ont pas reconnu et pour cause, dix centimètres de plus, une gueule un peu plus carrée, des muscles gonflés par le don lycan, en ajoutant bien sûr l'aspect négligé dû à la fuite, la chasse, au road-trip… S'ils savaient, comment réagiraient-ils ? Pourquoi se poser la question, ils ne doivent rien apprendre !

Ma meute… mes frères de galère plutôt… nous nous anonymons...

Malgré la joie de tous les revoir, parents, famille, je restais aux aguets, une attaque était toujours envisageable, même si mes prédateurs s'étaient fait oublier, j'étais tendu. Nerveux pour deux choses, des gens que je connaissais sous une menace probable, être seul éloigné de mes amis et membres de ma meute (grr encore ce mot qui s'impose à moi), eux aussi pouvaient être attaqués. Certes, de mon côté j'avais le Carnet malheureusement depuis que l'esprit l'habitant m'avait possédé je n'avais guère confiance en lui et il me le rendait bien, lors du dernier assaut des Gnaüls, il s'était abstenu de nous prévenir.

– Eh Fred ! Encore ce visage sombre, profite un peu de la fête, de nous. On se voit si peu…, lança l'un de mes frères, le second m'interrogeant du regard.

– Oui, pardon, excusez-moi, c'est égoïste de ma part. Je me sens juste comme un étranger, la vie continue pour la famille et je n'y assiste pas. Quand je dis un étranger, c'est entièrement de mon fait, mais passons. Tout à l'heure vous m'avez tous submergé de questions, d'attentions que j'ai l'impression de ne pas m'être intéressé à vous. 

– C'est vrai… un véritable connard !

– Hey, j'ai une réputation à tenir que voulez-vous. Ce n'est pas tout ce temps passé loin de vous qui m'a fait changer, faut pas déconner. Vos enfants sont beaux, ils grandissent si vite, ils ont l'air heureux. C'est important. Pardon, c'est cliché au possible.

– Arrête de t'excuser, t'es fatigant. Depuis que tu es arrivé, il y a eu quoi, vingt, trente excuses ?

– J'aurai misé sur le double, ajouta Maël.

– Faites pas chier les frangins, j'y peux rien. Bon alors, le boulot ça va pour vous ? Vous vous en sortez, je veux dire à jongler entre vie de famille et taf ?

– On ne va pas se mentir, c'est difficile de trouver le rythme au départ, la fatigue qui s'accumule… mais au final ça se fait, nous ne sommes pas les premiers et on ne sera pas les derniers à avoir des gosses. Quant au travail, eh bien disons que l'activité est parfois en dent de scie, mais on s'accroche.

– On réfléchit aux prochains grands voyages, congés sans solde et compagnie, histoire de se dépayser.

– Voir les beautés du monde, tant qu'elles existent encore…

– Exactement Frédo. 

– Et les parents, ça va ? Papa va s'emmerder comme un rat mort, avec la retraite ?

– Ils vont bien, un peu dur parfois de se dire qu'ils ont un fils on ne sait où, pas le droit de t'excuser ! Se pressa-t-il d'ajouter. Mais ils comprennent, ou du moins ils donnent le change. Papa, eh bien on a de quoi l'occuper, augmenter la taille du jardin, car les enfants adorent y aller en vacances et par conséquent il faut les faire travailler, ramasser les patates…

– Ils ont l'air de bien se tenir à table, donc faire plus de conserves ?

– Tu as tout compris.

– D'ailleurs en parlant de manger, la paëlla ne va pas disparaître toute seule, pis faut nourrir la bête que t'es devenue ?

– Quoi ?

– Bah t'as vu ta carrure, on suppose que ce n'est pas rempli d'air ces muscles…

– Vous n'avez pas vu les petites valves disséminées vers mes biceps, triceps ?

– Non, la chirurgie esthétique de maintenant, ça le fait grave.

– Il faut y mettre le prix, blaguais-je en me relevant. Allez, allons nous sustenter.


Tandis que je regagnai ma place, l'un de mes cousins avait commencé à remplir une tripotée de verres avec le vin et autres alcools. Ils me mettaient au défi de boire. Un petit concours ? Ils n'allaient pas être déçus du voyage. J'acceptai, à condition de d'abord faire honneur au plat et de savoir à combien de verres on était tous depuis le début de la soirée, il s'avéra qu'une confortable longueur d'avance était de mon côté, donc dans ce sens-là, disons que nous étions à égalité. 

Une demi-heure plus tard, leur face rougeaude témoignait de leur état d'ébriété avancé, nonobstant certains et certaines voulaient continuer. Je leur dis non, d'être raisonnable. Ma cousine accepta exigeant cependant que nous testions notre agilité sur les séparateurs en bétons qui se trouvaient dans la cour. Ni une ni deux, nous sortions, profitant de l'air frais de la nuit. Une personne sur l'obstacle et deux l'encadrant pour éviter une chute et une blessure. On enchaîna les passages, trois pas pour l'un, quatre et demi pour un autre, un record de sept pour ma cousine, puis vint mon tour, j'arrivai à huit ou neuf et décidais de faire une acrobatie sur les mains. Mais au moment où mes pieds furent à la perpendiculaire du sol, une brûlure à la cuisse me fit perdre l'équilibre, mais je parvins à me reposer au sol gracieusement, ce qui n'empêcha pas les autres de vaguement applaudir tout en se bidonnant généreusement… Je humais l'air, rien ne se dégageait franchement, les odeurs de terre, de ferme mais pas grand-chose d'autre, rien que je qualifierai de menaçant. 

Néanmoins, je lançais aux autres l'ordre de rentrer et de bien fermer derrière eux. Je ne sais si c'est mon air sérieux ou mon intonation mais ils s'exécutèrent sans broncher presqu'à la course. Ma main fila dans ma poche, le Carnet chaud palpitait légèrement. Mes yeux prirent leur forme animale, mais je ne captais rien d'étrange. Mon ouïe s'affina, balayant les environs, rien non plus. Je perçu simplement un cousin dire à l'assemblée "il a voulu qu'on rentre et qu'on ferme", surprendre des rythmes cardiaques s'accélérer brusquement, je pouvais d’ores et déjà savoir à qui ils appartenaient. 

Je fis le tour de la salle des fêtes, rien à proximité. Toutefois, au bénéfice du miroir lunaire, un reflet attira mon attention à trois cent mètres au sud, dans un bosquet. La brise ne m'était pas favorable, impossible d'identifier ce qu'il y avait là-bas. Mais en raisonnant à minima, les Gnaüls et autres créatures que nous avons affrontées n'avaient de reflets, au pire les yeux, mais à cette distance je ne les aurais pas remarqués. "Putain" lâchais-je entre les dents, quel con, comment n'y ai-je pas pensé avant : chasseurs. Mon cœur se m'y à battre plus fort. Ne pas paniquer. J'envoyais un message rapide à mes frères "augmentez le son, urgence ! Restez tous dedans". 

Retirer mes chaussures afin de diminuer le bruit de mes pas et se lancer à la course dans la direction de ma cible. En essayant de mettre tous mes sens en alerte afin de déterminer leur nombre, leur(s) position(s) de tenter de repérer d'éventuels pièges, mais je ne voyais rien, la scène était trop propre. À une vingtaine de mètres de la zone cible, une vive piqûre au pied droit me fit chuter lourdement en même temps que j'émis un bref cri de surprise douloureuse. Morsure atroce d'un piège à loup qui s'était refermé en transperçant de part en part le milieu de mon pied. Si le piège n'était pas relié à un capteur, ma chute leur avait sans doute indiqué où je me trouvais. Sortir de là. Saisir chacune des mâchoires et tirer dessus pour les forcer à desserrer la prise, mais rien à faire, mon sang poissait le métal le rendant glissant. Une branche qui craque à ma gauche, puis une autre à ma droite, enfin un déclic, le chien d'un fusil qu'on arme. Seraient-ils trois ? Si tel est le cas avec mon pied bloqué, situation plutôt mal-barrée. 

– Tiens tiens, mais ne serait-ce pas l'alpha en personne !

– Je… 

Un coup de crosse me cueillit au visage ; vision papillonnante.

– Je t'ai pas demandé de l'ouvrir.

Y a une respiration en plus de celui qui parle, ils ne sont que deux. 

– Alors, où sont tes bêtas ?

– 

– Réponds ! Hurla-t-il en s'avançant.

Il me dominait, le canon dirigé vers ma tête. La menace était directe, je devais gagner du temps, faire de l'esbroufe…

– Faut savoir, vous me dîtes de la fermer et après faut que je parle. Soyez cohérent mon cher !

– Tu mouftes quand j'te l'demande. Alors où qu'ils sont ?

– Pas dans le coin, ça c'est sûr, je suis venu seul dans la région.

– Te fous pas de moi, on sait que vous voyager toujours en meute.

Alors qu'il m'interrogeait, et bien qu'ignorant précisément où se trouvait son comparse, j'aspergeais mon pied droit de terre et de sable avec le gauche le plus discrètement possible. 

– Oui mais la raison de ma venue est privée, donc bon… D'ailleurs comment m'avez-vous trouvé, on a plus eu de nouvelles de vous depuis trèèèèèès longtemps, on pensait que vous aviez raccroché les bottes et reconvertis en éleveurs de moutons. 

– Raconte pas d'histoire. On va voir si tu continues à faire le mariole avec quelques balles dans le corps.

Je n'aurais pas d'autres essais, ne pas se louper. Saisir le canon et le diriger vers une zone non vitale pour essayer de l'arracher. Le coup part, explosion entre le cou et l'épaule gauche, le sang gicle, serrer les dents. Parvenir à délester le chasseur de son arme et le frapper en retour à l'arcade avant de la balancer au loin, ce qui le sonna quelque peu. Buste en avant, chaque mouvement accroit le mal. Ressaisir les mâchoires métalliques et tirer du mieux que je puisse avec le handicap supplémentaire. Parvenir à ouvrir suffisamment pour m'extraire du piège au prix de profondes griffures et recevoir un coup de pied en pleine tête qui me coucha. Le deuxième chasseur, je n'avais pas été assez rapide. Un deuxième coup de feu me perfora le ventre. Hurlement. Les larmes montèrent directement aux yeux sans que je n'y puisse rien. Ça irradiait dans tout mon corps au fur et à mesure que le sang se mêlait à la balle.

– Tu apprécies la composition de mes balles ? De la poudre et pour le reste un peu d'argent et un chouillat d'aconit…

Une femme, le deuxième chasseur est une femme, pourquoi ça me surprend…? Mes griffes se formèrent et je tentai de lui lacérer la jambe sans succès car le premier tireur me frappa au bras avec une sorte de gourdin. 

– Tu croyais quoi, sale chien !

– Une mort rapide, ma… Mais c'est pas dans vos plans ?

– Non, tu vas souffrir, une lente agonie à l’aconite, ajouta-t-elle.

Le Carnet vibrait dans ma poche. Pourvu que ce soit un signe. S'il te plaît, suppliai-je intérieurement. Mets ta main dans ta poche… Je m'exécutai le plus discrètement possible. 

– Je parlais de votre mort !

Dès qu'un de mes doits entra en contact avec le cuir du Carnet, je sentis le métal se refermer autour de mon poignet et quelque chose se matérialisa dans ma paume… Utilises Thorélias ! Je ne me fis pas prier, je la dégainai rapidement et la manœuvrai. Shoot d'adrénaline. La lame se divisa, chaque maillon relié par ce gaz bleuté, le premier coup porté sectionna une partie du fusil, la main et le bras de la chasseuse qui hurla en se tenant le moignon déjà cicatrisé par le feu électrique circulant dans l'épée. Je me remis sur mes jambes dans un geste bien moins gracieux que je ne pensais, fichue blessure au côté. Je me reculais de quelques pas pour avoir mes deux adversaires en visu. Les mailles finirent leur circonvolution avant de se ressouder.

– Avant que je ne vous élimine, comment m'avez-vous retrouvé ?

– On sait qui tu es, nous sommes postés à proximité de ta famille, tôt ou tard on savait que tu reviendrais !

– Combien êtes-vous dans le coin ?

– Une vingtaine, peut-être plus…

– Vous mentez !

– Tu ne le sauras jamais. Tu n'auras jamais l'esprit tranquille sachant ta famille en danger…

– Qu'est-ce que vous voulez ?

– Ce qu'il y a dans ta poche et tu le sais très bien !

– Alors mourrez ! Vous ne l'aurez jamais.

Comme si je donnais un coup de fouet, la lame se redécomposa et en tournant sur moi-même elle trancha la gorge des deux chasseurs avant de se volatiliser. 

Disaient-ils vrai ? Sont-ils plusieurs dans le secteur ? Ou ailleurs, vers chez mes frères, ma famille plus éloignée ?  Si tel était le cas, jamais je ne pourrais parer une attaque simultanée auprès d'eux, pas seul, pas avec Marie-Lou, Damian et Niko… il faudrait que l'on soit plus. Mais comment ? Pourrais-je infliger ça à d'autres ? 

Alors que le taux d'adrénaline diminuait, celui de souffrance faisait son exact opposé.


D'abord rentrer. Mais dans cet état, ce ne sera pas simple et ces meurtrissures qui ne se refermaient pas. Aconit, le mot pulsa dans mon crâne au même rythme que m'élançaient les plaies, mes connaissances étaient pauvres concernant les poisons. Mon portable ! Appeler quelqu'un, quelqu'un qui pourrait me renseigner ; Marie-Lou ? Je me souvenais d'une conversation sur les toxiques utilisés contre les lycans, mais impossible de me rappeler ce qui les contrecarraient, avait-on abordé le sujet ? Ma mémoire défaillait, le savait-elle ? Quelqu'un de plus expérimenté… Keb, lui m'aiderait s'il répondait bien sûr… Malheureusement un simple "service" apparaissait sur l'écran du smartphone, impossible de contacter qui que ce soit, vive la campagne. Se déplacer. Au prix d'un effort incroyable en pareille situation, je me redressai à l'aide d'une branche se trouvant à proximité. Un pas, puis un autre, tortue transportant son fardeau. Je me sentais misérable. La route du retour va être bien longue. À chaque petite victoire, celle de franchir une centaine de mètres, je jetai un œil à cet écran s'obstinant à n'afficher aucune barre de réseau. 

Enfin, je réussis à rejoindre la salle des fêtes, j'étais trempé, poisseux de sueur et de sang, je me sentais lourd, presqu'agonisant, tel un humain atteint par la grippe. Je m'écroulai contre le mur. Après quelques secondes de latence, trois rayures de réseau apparurent. Je m'empressais d'appeler le druide. Étonnamment, il décrocha à la deuxième sonnerie avec une voix toute ensommeillée :


– Keb ? C'est Fred, j'ai besoin d'aide !

– Fred, qu'est-ce qui se passe ? Où es-tu ?

– En France, chez mes parents, je viens d'être attaqué par des chasseurs. Ils m'ont tiré dessus avec de l'aconit. Je me sens de plus en plus faible. Je ne cicatrise pas.

– Est-ce qu'ils ont dit quel aconit ?

– Parce qu’il y en a plusieurs sortes ? Ils ne pourront pas me répondre, j'ai éliminé la menace.

– Aïe.

– J'aime pas trop ce ton…

– Tout dépend de quel type de plante ils ont utilisé pour leur munition. De quelle couleur sont tes veines autour de la plaie ?

Je soulevai mon t-shirt et profitant de la lumière d'un réverbère, j'examinai mon ventre avant de répondre :

– Elles sont bleutées, presque noires…

– Alors c'est de l'aconit napel. Regarde s'il y a d'autres cartouches.

– Je ne suis plus à côté des corps, ça ne captait pas.

– Il faut y retourner !

– Je n'y arriverais pas ! N'y a-t-il pas d'autres solutions ?

– Tu as un laboratoire à proximité avec tout un tas de produits chimiques ?

– Non !

– Alors tu n'as pas d'autres choix, tu y retournes un point c'est tout. Tu n'as pas le droit d'abandonner !

– Mais… Je vais crever…

– Rappelle-moi quand tu en auras récupéré, conclu-t-il avant de raccrocher.

Fais chier ! Je l’avais sans doute réveiller, cependant, de quel droit se permettait-il d’être aussi désagréable ?


Inspirer, expirer. Y retourner. Se relever. Tomber comme une merde. Grogner. Avoir une réponse en écho, une plainte s'échappant de la salle. Bon, je m'en doutais mais seul je n'y arriverais pas. Se redresser. Demander de l'aide. Un sms, "Je vais avoir besoin de vous, aucun danger autour, vous pouvez sortir seuls, je suis derrière." Moins d'une minute après j'entendis la porte s'ouvrir, bruit de pas dans le gravier et… bruit de pattes. Une fusée blanche se jeta sur moi me reniflant et débarbouillant. Mes frangins arrivèrent juste après. Je les vis blêmir presque immédiatement.

– Oh putain, qu’est qu’il s'est passé ? Putain Fred ça va ? C'est quoi tout ce sang ?

– Faut que ça aille, c'est pour ça que j'aurai besoin de vous. Mais question, personne n'a été blessé ?

– Tout le monde va bien, personne n'est sorti. Mais tu vas nous dire pourquoi t’es dans cet état ?

– OOOHHHH Putain Fred !!!

– Antho ?

– Mais p’tain faut appeler les pompiers…

– En aucun cas, répondit Yann en le ceinturant. On fait quoi maintenant Fred ?

– Il m'a vu donc…

– Non, tu déconnes, il fait partie de la famille !

– Me faites pas rire bordel. J'vais pas le tuer, ne soyez pas con. Antho, je vais faire vite. On ne peut pas prévenir les secours, ils ne pourront rien pour moi. Je… Je ne suis plus "humain". On en reparlera plus tard si tu veux, mais il faut garder le secret. Je suis un lycan, un loup-garou si tu préfères. Je ne peux pas te faire de démonstration maintenant, je ne suis pas au meilleur de ma forme. D'ailleurs si vous pouviez lui confirmer, fis-je.

– Je confirme !

– Pareil !

– Ouah l'délire, mais pourquoi t'es dans cet état ?

– Il y a eu une attaque, c'est pour ça que je vous ai demandé de rester à l'intérieur. Des chasseurs… Ils sont morts.

– Des chasseurs mais bordel…

– Des spécialisés dans la chasse aux lycans, pas les abrutis du dimanche. Bref, j'ai besoin de vous. J'ai été empoisonné, et le don ne peut pas me guérir. 

– Tu vas mourir ?

– … c'est… c’est, je crois une possibilité que je n'ai pas trop envie de concrétiser dans l’immédiat. Mais, si on retrouve une des cartouches qu'ils ont utilisée, ce sera bon.

– Je taisais le fait que ce n'était pas une assurance.

– Et après, on doit revenir ici et appeler un ami, qui pourra nous guider. Parce que ça ne capte pas là-bas. Allez, ne traînons pas.

– Attends Fred, on prend ma caisse, on gagnera du temps. 


Ils m'aidèrent à me relever, Antho obtempéra en rentrant et dès qu'il entendrait la voiture il nous rejoindrait. Discrètement et très péniblement nous gagnâmes la voiture. Et en moins de huit minutes nous étions sur site, face aux deux corps. "C'est elle qui nous intéresse" précisai-je et nous nous mîmes à chercher. "J'ai" lança Maël, le soulagement se lut sur mon visage. Chacun m'empoigna sous les épaules et on repartit en direction de la voiture. 

Je me réveillai au contact de la baffe que Yann me colla.


– Fred tu t'es évanoui, comment tu te sens ?

– Comme un humain ayant vidé une bouteille de whisky.

– Tu as dit qu'il fallait appeler un ami, mais lequel ?

– Keb…

Yann qui avait déjà usurpé mon téléphone sélectionna le contact dans le répertoire.

– Allo monsieur Keb ? 

– Oui ?

– Je suis le frère de Fred, il est au plus mal. On a récupéré une balle des chasseurs, mais on en fait quoi ?

– Ouvrez-là, il doit y avoir une poudre violacée à l'intérieur. Il faut la verser sur la plaie cernée de veines noires bleutées. Dès que c'est fait, enflammez là. Je reste en ligne. 

J'aperçus la silhouette de mon cousin qui était parvenu à sortir discrètement.

Maël réussi à ouvrir la balle, je lui fis signe de me la donner, il s'exécuta. Je tremblais. Je ne sais si c'est la fatigue ou la peur de mourir mais je tremblais, mes dents s'entrechoquaient. Je renversai la poudre sur la plaie, aussitôt mon corps convulsa rendant mes gestes moins sûrs. Un coup, deux coups mon briquet ne s'allumait pas. "Steuplaît steuplaît, me lâche pas maintenant…" La troisième tentative ne fut pas salvatrice. Heureusement mon cousin me fila le sien et la flamme jaillit dans les ténèbres. Dès qu'elle entra en contact avec l'aconit, la brûlure fut multipliée par cent. Mon cri se mua en hurlement lycan. Halètement, l'air rentrait mais c'est comme si mes poumons ne l'absorbaient pas. Le briquet éclairait toujours la zone blessée et je vis la coloration noirâtre se diriger vers le cœur de la plaie.

– Passe-moi le tél s'il te plaît. Ça marche Keb, ça marche. Merci, merci infiniment.

– Je t'en prie. On a eu de la chance. Maintenant, repose-toi. Il faudra du temps à ton corps pour s'en remettre.

– Merci. Désolé de t'avoir appelé aussi tard.

– Ne t'excuse pas, les Druides seront toujours là pour toi.

Tout en raccrochant, je me "relevais", du moins j'essayais à l'aide du mur. Tête qui tourne, bide en vrac, sueur froide et souffle court. Serrer les dents, faire illusion. 

– Les gars, vous pourriez me rendre service à nouveau ?

– Bien sûr, tant que tu ne nous demandes pas d'enterrer les cadavres…

– Ah merde, je ne peux vraiment pas compter sur vous, blaguais-je. Non, plus sérieusement. Je ne peux pas revenir à la fête comme ça, vous n'auriez pas des fringues de rechange ?

– Je m'en charge, lança Antho.

– Désolé mon couz, mais il y a souci de taille, sans vouloir te vexer.

– Ouais ouais, j'suis un nain, je sais !

Yann lui envoya ses clés en précisant qu'il trouverait ce qu'il faut dans le sac bleu. Moins de deux minutes après, Antho revint avec le nécessaire pour me refaire une beauté. 


Chaque mouvement pour enfiler les vêtements tirait sur les lésions ravivant à la fois la douleur et les pertes sanguines laissant inévitablement des traces, ce que je voulais à tout prix éviter pour ne pas éveiller les soupçons. Il fallait désinfecter pour cautériser, mon frère s'absenta un instant en passant par le côté cuisine et nous retrouva avec une bouteille de whisky. Je me saisis de la bouteille en avalai une rasade, ça faisait du bien, en versais sur les perforations des balles, beaucoup moins cool en terme de sensations, cependant ça faisait le taf. J'enfilai le t-shirt et ajoutai une chemise par-dessus, au-moins ça camouflait un peu plus. J'étais paré. Nous rentrâmes, les regards dirigeaient vers nous. Mon oncle s'approcha et en me tapant sur l'épaule gauche, pile "au bon endroit", je blêmis, il me lança "Eh ben vieux, t'es tout pâle, tu ne supportes pas l'alcool ?" Déglutir avant de répondre qu'il avait raison et que j'avais évacué le trop plein, que je pouvais recommencer, lançais-je tout sourire, autant pour couvrir ma grimace et le petit cri de douleur qui remontait le long de ma gorge. Autant perdre la face sur ce point, mon amour propre s'en remettra. Cependant, les cousins eux ne laissèrent pas passer leur chance de me chambrer même si j'essayais d'accuser les fruits de mer de la paëlla… fausse bonne idée, personne d'autre ne présentait de symptômes. Je me resservis un verre histoire de relancer un "round".


Mes parents me firent signe discrètement de les rejoindre vers la cuisine ce que je fis.

– Fred, on a vu vos va-et-vient avec tes frères…

– Et ton changement de tenue. Alors raconte !

– Je… eh bien. J'ai trop bu comme j'ai dit, et j'ai vomi…

– Ne nous mens pas, s'il-te-plait ! Tu faisais le con sur les plots avec les autres et ton sens de l'équilibre était parfait. L'alcool n'a rien à voir là-dedans.

– En effet, ça ne m'affecte plus. C'est… je m'en veux, jamais je n'aurais dû venir. Il y a eu une attaque, ou du moins il aurait pu y en avoir une. Tout ne s'est pas déroulé comme prévu, mais ne vous en faites pas, ce problème est résolu.

– Mais tu as été blessé ?

– Légèrement…

– Alors pourquoi la tâche sur ta chemise s'agrandit encore ?

– Merde ! Pardon. Les chasseurs se sont servis de balles spéciales pour m’atteindre. Par conséquent mon corps met plus de temps pour se régénérer. Mais ne vous en faites pas, ça va le faire. La preuve, je ne la sens quasiment plus.

– Des chasseurs tu dis ? De quel type ?

– Du genre à avoir une seule espèce en ligne de mire et de vouloir l’éliminer purement et simplement, du moins c’est ce que je croyais.

– Comment ça ? Dans quel pétrin t’es-tu mis ?

– Maman steuplait… tu sais que je n’ai rien fait pour. Une meute "ennemie" s'est alliée à des chasseurs pour nous faire la peau et s'emparer du Carnet…

– Donne-le-leur et ils vous laisseront tranquille.

– Si ça pouvait être aussi simple… Malheureusement, c'est impossible, le Carnet est lié à moi, j'ai essayé mais il s'est menotté à mon bras. Toutefois dans ce "malheur" j'ai rencontré Marie-Lou, grâce à eux, elle a été leur victime. 

– Pourquoi Mika te l'a offert ?

– Hey, il n'y est pour rien. Il s'en veut déjà suffisamment pour ça… Bref, oubliez ça. Profitez de la soirée, vous avez passé du temps à l'organiser alors amusez-vous ! Eh pis, c'n'est pas tous les jours qu'on célèbre sa retraite papa ! La menace imminente est réglée !

Je m'emparai d'un pichet de vin rouge et le renversa sur mon épaule avant de m'écrié "P'tain fait chier !", je m'excusai du gâchis à voix basse auprès de mes géniteurs avant de regagner la salle un pichet plein à la main. "Heureusement qu'il y a de la réserve !" lançai-je à l'assemblée… Cette dernière se moqua de moi et de ma maladresse, et une nouvelle tournée de paëlla fut servie. Après avoir regagné ma place, chaque bouchée du plat me faisait un bien fou. Le combat et surtout la blessure avaient dévoré une grande réserve de mon énergie. Mon cousin Antho, posté juste en face de moi, ne cessait de me regarder et surtout mon épaule, passablement inquiet. Essayer d'en faire abstraction en enfournant une nouvelle fourchetée.

Je sentis un vague changement dans l'air, je ne devinai pas immédiatement de quoi il s'agissait. L'ambiance générale était bonne enfant, rire, amusement, ressassement de souvenir entre anciens collègues ; Rien d'alarmant. Une légère tension électrique pulsait toutefois dans le lointain, mes sens les ressentaient. Une main au Carnet, il était froid. Ne pas s'en faire. Je me resservis une assiette sous le regard accusateur de ma cousine.

– Dis-moi que tu portes une gaine modelante, que c'est du gras que tu as sous ce t-shirt ?

– Quoi ? 

– T'as vu ce que tu bouffes et ce que tu picoles ?

– Ouais je sais, mais désolé, j'ai un très bon métabolisme, souriais-je.

– La vie est injuste !

– Eh ouais ma couz, ceci dit t'es toute maigre et tu ne manges presque pas…

Un éclair illumina l'extérieur et le tonnerre rugit dans la seconde, coupant net l'électricité de la pièce. On se retrouva plongé dans le noir. "Bon dieu, c'est pas tombé loin ! " s'exclama une femme dans l'assistance dont je ne reconnus pas la voix. Un enfant se mit à pleurer.

La porte s'ouvrit à la volée alors qu'un nouvel éclair zébra le ciel. La pluie tombait drue dehors. Pendant le flash, une ombre se découpa dans l'encadrement de la porte. Impossible !

– Y'est où Fred ? Questionna une voix féminine.

– Je suis là ! Tu pourrais au moins te calmer, histoire de remettre les plombs qui ont sautés…

– Pas avant que j'te vois !

– Du coup, avec la lumière ce serait plus simple. Quelqu'un sait où se trouve le disjoncteur ? Demandai-je.

– Je m'en occupe répondit mon père.

Alors que je me retrouvais à moins d'un mètre de l'entrée de la salle, la lumière revint. Donner le change.

– Cet interlude sonore aux effets visuels plus que douteux, je vous l'accorde, vous a été offert par Marie-Lou, ici présente. Je vous demande juste un petit instant pour vous la présenter en bonne et due forme, lançai-je avant de reprendre plus bas à l'attention de Marie-Lou, on va dehors cinq minutes.

Le temps de ressortir avec ma chère et tendre, j'entends quelqu'un dire que cette petite n'avait pas l'air commode.

– Marie-Louise que fais-tu ici ? 

– J'étais inquiète et j'avais raison, t'as-tu vu dans quel état tu t'es mis ?

– Ce n'est rien, Je vais bien ! 

– Ouais ouais, cesses donc de niaiser ! Keb m'a appelé pour me brasser le canayen, tout ça parce que t'm'as pas écouté sur les poisons !

– Il t'a téléphoné ?  Mais comment as-tu pu arriver aussi vite ?

– J'étais d'jà en route. Dam' avait un mauvais pressentiment à peine une heure après ton départ, alors j'ai pris la route.

– Toute seule ?

– Chu ben assez grande pour m'défendre !

– Ça je n'en doute pas. Ton frère et Niko ne t'en ont pas empêché ? Pardon question stupide. On retourne à l'intérieur, comme tu le sais il n'y a que mes parents et mes frangins au courant de tout.

– Pour qui m'prends-tu, chu pas morone !

– Marie, je sais. Je suis juste sincèrement content de t'avoir auprès de moi et que j'ai envie qu'ils t'apprécient tous.

– Je l'embrassais tout en nouant mes doigts aux siens, elle se laissa faire ; la pluie se fit plus douce. Une claque me cueillit "ça c'est pour mon nom complet !" Je l'avais mérité.

Inspirer. Pousser la porte. Entrer.


Tous les regards étaient tournés vers nous, je n'en attendais pas moins après l'entrée tonitruante de ma folle québécoise. Malgré son irruption fracassante, Marie-Lou restait passablement intimidée, je le sentais à son bras qui cherchait à passer derrière le mien. Parler, briser ce silence qui se faisait sentir, oui mais par où commencer ? Je n'eus cependant rien à faire, un de mes oncles se lança :

– Eh ben les jeunes, vous avez perdu vos langues respectives ?

– Petits rires dans la salle.

– Nous ne sommes pas cannibales, enfin je crois… Quoi qu'il en soit, je vous présente celle que j'aime, Marie-Lou. 

– Enchantée tout le monde ! Beh vous savez déjà comment j'me nomme. Scusez pour tantôt, mais mon cheum y'est parti sans moi. Une station essence… Un oubli j'crois.

– Hey, pour qui tu m'fais passer là ? Elle plaisante hein.

– On va dire ça. Mais reprenez votre repas, je vous ai déjà suffisamment ralentit, pis ça sent rudement bon ! On jazzera après si vous voulez.

Elle se sera un peu plus contre moi, je sais qu'elle avait fourni un effort et l'en remerciais silencieusement. Je vis mes parents vers la cuisine, ils la dévisageaient avec attention. Que pensaient-ils, la considéraient-ils comme une menace, comme responsable de l'épée de Damoclès planant en permanence au-dessus de ma tête ? Ou tout simplement s'interrogeaient-ils sur sa présence ici ? Ils en auraient le droit, sa venue n'était pas prévue. Tirant légèrement la main qui se tenait à la mienne, je nous emmenais vers mes géniteurs, en leur faisant signe de reculer dans les cuisines, un peu d'intimité.

– Papa, maman, ce n'était pas prémédité, mais c'est avec joie que je vous présente Marie-Lou.

– Enchantée de faire votre connaissance.

– Nous de même…

– Je suis sincèrement désolée d'avoir fait irruption comme ça, j'espère ne pas avoir gâché la fête, je m'inquiétais pour votre fils.

– Mes parents échangèrent un regard complice. Chacun de leur côté ils lui mirent une main sur ses épaules.

– Nous t'en remercions. Nous aurions aimé faire ta connaissance plus posément. Toutefois, tu es là et nous savons que tu veilles sur Fred, alors encore merci. Mais tu dois avoir faim. Nous allions passer aux fromages, mais si tu veux de la paëlla, il en reste suffisamment.

– Ce sera avec plaisir, j'avoue être affamée.

Mes parents lui servirent une assiette et son ventre émit un gargouillis affamé. Après une vague hésitation, la tentation grandissante la fit succomber et elle engloutit une première fourchetée, puis une seconde ; elle avait dû partir à l'arrache sans prendre le temps de se nourrir, ronger par l'inquiétude à mon égard. Mes parents, s'excusèrent et portèrent les plateaux de fromages dans la salle de réception nous laissant un instant, seuls. J'en profitais pour me coller à elle. Son absence n'avait guère durée, toutefois avec les derniers événements et la peur de ne pas la revoir, ce temps avait comme était multiplié exponentiellement. 

– C'est fucking bon ! Mais tant qu'eux autres sont pas là, tu vas-tu m'dire c'qu'y s'est passé ? 

– Les chasseurs sont de retours et ils ont bien appris leur leçon sur les poisons. Mais c'est réglé pour un temps. Ne t'en fais pas. 

– Que tu penses. Qui nous dit qu'ils ne sont pas encore tapis dans l'ombre de ton entourage ?

– Rien, en effet. Je n'ai pas encore pris le temps de la réflexion sur comment les protéger tous. Enfin, une pensée, fugace.

– Laquelle ?

– Une armée ? Mais je ne me sens nullement en droit d'infliger la malédiction, le Don, à quelqu'un. Le pourrais-tu toi ?

– Non sans doute pas, répondit-elle en posant sa main sur la mienne.

– Mes lèvres puis mon front se posèrent sur le sien. Sa présence me faisait du bien.

– C'est pas tout ça, mais j'ai soif. Si on s'en retournait voir dans la salle ?

Elle se leva tout en enfournant sa dernière fourchette de paëlla et laissant négligemment retomber son couvert avant de se diriger vers la porte. "T'en viens-tu ?" me lança-t-elle. Comment refuser ?

Je me rendis à ma place. "Attends, je vais te chercher une autre chaise" proposa ma cousine.

– Merci mais ce ne sera pas nécessaire. Fred assis-toi ! répondis Marie-Lou

– À peine eu-je posé une fesse sur ladite chaise, que ma blonde se posa sur mes genoux.

– Au moins tu bougeras pas !

– Autoritaire ! Il est dressé le Fredo ! tança ma cousine.

– Un loup tenu en laisse, rétorqua Marie-Lou ce qui ne manqua de faire pouffer mon cousin Antho.

– Alors Marie-Lou, d'où viens-tu ? Enfin, si tu permets que l'on se tutoie ? Et comment vous vous êtes rencontré avec Fred ? On ne l'a pas vu depuis super longtemps sans nouvelle et le voilà qu'il débarque comme ça et qu'il n'est plus célibataire. Pardon, j'ai l'impression de mener un interrogatoire de police.

– Tu peux, ça n'me dérange pas, pis c'est chiant de vouvoyer, ça met une distance. J'viens de Québec pis j'ai pas mal bourlingué de par le monde et c'est au détour d'une virée aux USA que j'ai croisé Fred. Ce s'rait un peu long à raconter les circonstances de notre rencontre mais depuis on ne se quitte plus…

– Cool, mais euh, désolé mais vu ton entrée… je sais que c'est déplacé comme question, mais je crois que je suis aussi con que mon cousin… Qui mène qui à la baguette ?

– Bordel Antho pour qui me prends-tu ?

– Beh moi bien sûr ! Décréta ma blonde. Comme le dit l'adage "who run the world ? Girls !"

– Non mon Coeur, ça c'est Beyoncé !

– Y'es-tu sûr honey ? Sans doute. Non, pour répondre à ta question sérieusement, nous n'avons pas ce genre de fonctionnement. Pour des raisons qui nous sont propres, Fred à le dernier mot, toi tu sais pour quoi ! 

– Comment savait-elle que mon cousin connaissait mon état ?

– On voyage en groupe habituellement et Fred prends soin de nous en se mettant en danger continuellement pour nous protéger.  Il est comme ça. C'est ce qui m'a séduite chez lui. Je fais bravache comme ça, mais s'il dit blanc ou noir, je sais qu'il a raison.

Elle m'embrassa pour ponctuer son propos… une larme coula sur son visage.

L'interrogatoire repris de plus belle, ils ne se laissaient pas attendrir comme ça, mais elle s'en sortait à merveille jusqu'à ce que nous soyons interrompus.

– Tata, tonton ! Papou il veut que tu fasses un dis court  pour sa retête ! Lança le fils de mon frère.

Un discours, mais que dire ? Mon père était-il tombé sur la tête ? Je n'avais jamais été doué pour ce genre de péripétie vocale.

– Ok p'tit bonhomme ! Mais parce que c'est toi qui m'a demandé, dis-je en lui ébouriffant les cheveux. Marie-Lou, j'ai besoin de cinq minutes au moins pour me préparer, tu vas gérer comme une cheffe.

Elle me libéra et j'en profitais pour m'éclipser.


Je fis ma réapparition quelques minutes plus tard, maudissant mon père de ce mauvais tour, car il savait que ce n'était pas mon truc de parler. Je me sentais penaud, observé de tous. Ce n'était pas mon rôle, je n'étais que le troisième enfant, cette tâche si elle devait incomber à quelqu'un c'était bien à mon grand frère. Mais soit…


– Bonsoir tout le monde ! Je ne suis pas forcément adepte de ce genre d'action, ce n'est pas pour rien que j'ai disparu depuis quelque temps, je devais déjà redouter cet instant, mais je dois également être masochiste pour me pointer là ! Bref, ceci n'est pas le but de mon propos. D'ailleurs, je ne suis pas certain de l'objectif de cet exercice. Que dire ? Je suis content de voir tous ces visages réunis afin de célébrer la retraite de mon paternel. Si vous êtes ici réunis, c'est que vous comptez pour mes parents et je suis fier que vous ayez répondu présent. D'aussi loin que je me souvienne, papa a toujours été bon et compréhensif, mais surtout il a essayé d'être présent pour tous bien qu'il y ait le travail, s'en sortir au quotidien pour joindre les deux bouts chaque mois, passer du temps avec chacun de ses enfants… Donc du temps pour les autres pas forcément pour lui. Alors, maintenant que Papou gagne le haut et respecté grade de retraité, je souhaite qu'il prenne du temps pour lui et maman. Qu'ils profitent de la vie ! Alors, vous tous levez vos verres ici et maintenant afin de fêter sa promotion sociale !!


Quelques applaudissements, c'était surestimer ma prestation. Mais je n'avais visiblement pas gâché la fête et l'ambiance, car chacun y aller de son bon mot pour mon paternel. Je m'éloignais un instant, sortant prendre l'air, l'exercice m'avait épuisé. M'asseyant sur la première marche, je tremblais. La blessure à l'aconit se rappela à mon bon souvenir, bloquant ma respiration. Peur ?

Je sentis un écho à mon état, Marie-Lou, l'Alpha pouvait-il ainsi influencer l'état de son groupe ? Je perçus une question à son encontre " Marie-Lou, ça va ?" avait lancé un de mes cousins. 

Un bruit blanc, des tremblements de taire, un hurlement sonore électrique, puis un silence étrange, comme si une membrane me protégeait de tout le reste. Enfin une voix intérieure. Mais pas la mienne… une pensée extérieure… Comment ? Les premiers mots m'apprirent de qui il s'agissait…. Marie-Lou…

" J'aimerais ça, un jour, dire "ça va" et le penser vraiment, sincèrement. L'énoncer promptement, haut et fort, une phrase venant du cœur et non machinalement comme on le fait presque à chaque fois que l'on nous pose la question dans la vie de tous les jours, une vie normale j'entends. Oh oui, j'aimerai ça… Non j'adorerai ! Car là, présentement, ma réponse est digne d'un fucking robot pour donner le change, ne pas inquiéter ces gens que je viens tout juste de rencontrer. Ces gens, sa famille qu'il a dû abandonner par obligation… Il leur manque et à eux aussi… je le sens bien. Il regrette de ne pas les voir évoluer… Oh bien sûr ils comprennent le pourquoi, mais même sans qu'ils ne l'expriment, ils n'apprécient pas… Ils subissent et leur "ça va" est tout aussi faux que le mien, à leur manière…  Alors oui, j'adorerai vivre dans un monde Panglossien, que tout va bien dans le meilleur des mondes. Pour l'heure, la lutte pour survivre est notre lot quotidien. Seigneur, le pain de ce jour est bien trop sec et cassant, apportez du rhum ou du whisky pour arrondir nos vies…"

Comment était-ce possible ? L'avais-je imaginé ? Comment pouvait-elle penser à autant de choses en une fraction de seconde ? Comment avais-je réussi à capter ses pensées ?


3 commentaires:

  1. Bravo pour cette reprise de plume. J’attends avec impatience le défi en lien avec « l’alcool n’a guère d’effet sur moi » 😉. Cyrille

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  2. j'aimerai avoir la même capacité que lui... ^^

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