dimanche 10 février 2013

Croc-Circle Saison 4 Part.2



EPISODE 4




La musique me parvint, grésillante et éloignée. Tous mes sens embués par le sommeil, je grognais, à moitié étouffé par les draps dans lesquels je me retournais. "Marie-Lou, arrête cette musique steuplait…", pas de réponse. J'enfournais ma tête sous l'oreiller, je ne voulais pas me lever, j'étais fatigué au possible. Les bras de Morphée étaient encore proches, je le savais, je pouvais encore les atteindre. Je dus y parvenir durant un laps de temps assez court, car une autre chanson me parvenait. Mais c'est quoi ces musiques pourries en plus ?

À tâtons, je parvins à allumer la lampe et en tapotant un peu sur tout ce qui était accessible de mon bras, je réussis à éteindre la radio.
Me retournant dans le lit, d'un œil j'aperçu l'heure qui s'inscrivait en barres rouges sur l'écran du réveil, 6H30…. "Rhoo nan, c'est pas humain !"Bougonnais-je. Mais le fait de voir l'heure déclencha quelque chose dans mon cerveau et je sus que ne pourrais me rendormir.
À contrecœur, j'expédiais les couvertures à l'autre bout du lit et me redressais. Tout était flou à cause du sommeil qui me hantait encore. Je me frottais les yeux et en même temps le contact du sol avec mes pieds me parut étrange, c'était rêche et chaud, de la moquette.
Mes yeux firent la mise au point. J'étais dans ma chambre de la maison familiale. J'aurais pourtant juré que je m'étais endormi à l'hôpital et que nous avions quitté cette maison depuis des années. Étrange.
Les aboiements des chiens du voisin me tirèrent de ma réflexion. Des bruits de télévision me parvinrent du rez-de-chaussée, mon père sans doute.
Je m'habillais et descendis à la douche. Un salut à voix basse à mon paternel dans le salon et direction la salle de bain, il faisait froid. L'eau bouillante se déversa sur moi, éloignant les derniers signes de sommeil. Fermant les yeux un instant pour profiter de ce petit bonheur. Je les rouvris. Les filaments d'eau semblèrent se confondre en un mur verglacé et une tête de monstre apparu, je mis instinctivement les bras devant mon visage. Lorsque je les retirai, l'eau continuait de couler normalement. Je sortis de la cabine et un voile de vapeur envahit tout la pièce. Après m'être prestement rhabillé, j'échangeais un regard vers le miroir embué et fis un bond en arrière. Le cœur cognait comme un dément dans sa cage d'os, car des yeux d'un rouge brillant me fixaient intensément.
Rassemblant tout le courage dont je pouvais faire preuve, je me rapprochais lentement et d'un geste brusque de la main, je balayai la buée de la glace et les yeux disparurent. Je tâtais ma poche, cherchant quelque chose, mais je ne savais quoi, elle était vide. Je savais pourtant qu'il manquait quelque chose, mais quoi ?
Je sortis et fis chauffer un café en essayant de ne plus y penser. J'avais l'impression de sortir d'un rêve dont je ne discernais que de vagues contours qui ressemblaient à la Lune, ou un cercle. Je ne sais plus trop bien déjà.
Comme il est étrange que la purge nocturne du cerveau crée un milliard de choses fantasques et qu'au réveil, tout s'efface peu à peu, comme ce doigt de l'ange gardien qui vient s'apposer sur le nourrisson à la naissance, créant ce sillon nasal, ce pourrait pourrait-il que ce soit lui encore qui intervienne chaque matin ? Je ne suis guère friand de la première théorie et par conséquent la seconde, qui en découle, ne me sied guère non plus. 
Quoi qu'il en soit, depuis que j'ai posé le pied à terre ce matin, j'ai l'impression de ne pas appartenir à ce monde. J'ai la sensation d'avoir plus vécu que mon âge… Je me demande ce que n'importe quel psy penserait de tout cela.
Un bip de ma montre me ramena au moment présent. Il était un peu plus de sept heures et je devais donc prendre le bus. Je saisis mon sac à dos et sortis. J'empruntais la rue dans le noir, le jour ne s'était pas encore levé. Je vérifiais l'heure sur ma montre, il était bien sept heures passées, j'aurais pourtant juré que nous étions en été ; fragment chimérique. D'ailleurs, mon blouson était un peu léger et ne me tenait pas vraiment chaud.
Trois quarts d'heure plus tard, le jour pointait, le ciel s'éclairait devant le lycée vers lequel le bus me déposa. Je tremblotais, j'avais froid, ou peur… Peur, mais pourquoi ? Tentais-je de me questionner. Je ne sais pas, mais je ressentais comme un malaise.
Malaise, ce mot semblait s'associer dans mon esprit, au rêve de cette nuit.
J'étais pris dans le flot des lycéens et suivais presque malgré moi, les autres. J'atterris devant une grande grille qu'un panneau, indiquant en lettres capitales "LYCEE MAURICE GENEVOIX / DECIZE", surmontait.
Decize-City, encore étrange, comme ça me semblait loin dans mon esprit, comme si c'était pour moi une époque largement révolue.
Pfff, depuis ce matin tout me semble étrange et me dépasse…
Si j'avais déjà dit oui, même si je ne m'en rappelais plus, je ne vois pas pourquoi je changerais d'avis.
Je n'eu pas le temps de lui répondre qu'elle partait déjà voir un autre groupe pour poser la même question.
Julia, pourquoi avais-je peiné à retrouver son prénom alors que nous étions depuis la maternelle dans les mêmes classes ?




̶                Salut Fred, ça va ? Me demanda une nana qui me fit la bise.
̶                 Euh oui, salut…euhm… Julia. Oui, ça va merci, un peu fatigué, mais bon. Et toi ?
̶                Nickel, on dirait que t'as fumé un joint l'Fredo ! Plaisanta-t-elle. Je voulais savoir, tu viens toujours à la fête de ce soir ?
̶                Je…Je n'sais pas
̶                Allez, t'avais arrangé l'coup avec tes vieux. Les miens te ramèneront.
̶                Ouai, ok.
̶                Tu verras, on va bien se marrer et s'mettre une p'tite mine

*

 

J'arpentais le chemin de sable et de terre qui longeait le terrain de sport du lycée, il faisait nui et je ne voyais où je devais mettre les pieds qu'avec l'entremise de la Lune, presque ronde qui réverbérait le soleil, depuis longtemps couché, et aux autres lycéens que je suivais de loin et qui étaient équipés de lampes torches. De la musique de la fête, je ne percevais que les bits de tempo. Ceux qui me précédaient m'attendirent pour passer le barbelé qui marquait la limite du lycée. Nous nous enfonçâmes dans une petite forêt, où les ronces avaient élu domicile.


Plus nous avancions et plus le terrain devenait glissant et plus les détails de la musique étaient perceptibles.

Enfin, nous y étions, la fête sur l'île de Caqueret. Je crois que tous les jeunes de Decize City et ses agglomérations alentour étaient rassemblés ici, ça pullulait.


A l'entrée, on me remit, comme aux autres, un gobelet aux proportions impressionnantes en échange de 10 euros. Je m'empressais d'aller le remplir de bière à l'un des nombreux stands buvette.

Je voyais des centaines de visages, mais aucun ne s'associait instinctivement à un nom. Mais que m'arrivait-il ? Je devrais normalement tous les connaître, enfin, une majorité ! On n'évolue pas dans un lycée sans connaître de vue des personnes, des noms. C'est une notion même des probabilités ; parmi une foule, dont une grande majorité est issue du même endroit, même noyé dans la masse, un individu X devrait reconnaître au minimum une vingtaine de personnes.



Bon les maths ne sont pas mon fort, mais j'ai au moins quelques notions. Quoi qu'il en soit, elles me donnaient mal au crâne et pour le faire passer, je m'enfilais quelques verres de différents breuvages de plus en plus forts. Mais tout restait embrouillé. Pourtant, l'alcool offrait des possibilités, soit une certaine clairvoyance, soit une complication… mail là rien, j'en restais au même point. Ça aussi ce n'était pas logique : l'alcool ne me faisait aucun effet, enfin ça me réchauffait un peu, c'était déjà ça.

 

*

 


Soudain tout défila devant mes yeux comme au ralenti. La foule courrait, tous ceux qui la composaient avaient le regard inquiet, la peur se lisait sur leur visage. Au bout d'un instant, je me rendis compte qu'il n'y avait plus aucun bruit, ils courraient sans bruit.

Certains portaient sur eux des taches de sang. Brusquement Julia apparut devant moi, me hurlant dessus en silence. Je regardais ses lèvres bouger, mais aucun son ne semblait en sortir, bien que son souffle soit visible. Elle avait l'air terrorisée. Puis elle me saisit le bras et me tira dans le même sens que la foule. De sa main libre, elle composa un numéro sur son portable.




Ma vision redevint normale au fur et à mesure que nous traversions le parc jouxtant le lieu de la soirée. Nous continuâmes à courir sur la route, traversant le pont  qui enjambait la Loire, dans laquelle se reflétait la Lune. La foule s'était séparée en deux directions, une dans laquelle nous étions, l'autre prenait la direction de Moulins.




Des cris de peur commençaient à pénétrer mes tympans. La panique me gagnait et ma main ne cessait de venir se poser sur ma poche de veste, je n'en voyais pas la raison. C'est comme si c'était la réminiscence de quelque chose, un geste pour se rassurer… Un homme marié pendant des années porte une alliance, lorsqu'il ne l'a plus, soit ses doigts, soit son autre main chercheront l'alliance à son annulaire, et ce, dans un geste incontrôlé.




Là, ce devait être pareil, j'avais eu quelque chose dans cette poche, oui, mais quoi ? Là était toute la question, si jamais je le découvrais, je pourrais comprendre.
Nous traversions maintenant le pont de la vieille Loire, nous ralentissions.
̶               Qu'est-ce qui se passe ? Demandais-je à Julia.

Elle s'arrêta, d'un signe de la main, me fit comprendre que je devais attendre qu'elle retrouve son souffle.

̶               Je… je sais pas. Mais… t'as pas vu le mec qui a été réduit en charpie… tout ce sang ?
̶               Non j'n'ai rien vu, c'est flou, embrouillé dans mon esprit. Tout est flou.
̶               Putain Fredo, pourquoi t'es pas essoufflé toi ?
̶               Je…
C'était une bonne question, je le voyais, son visage était rouge écarlate, de la sueur coulait de son front, entraînant dans le sillage des gouttes salées, son maquillage et elle respirait fort. Je ne me sentais pas fatigué par la course, je respirais normalement, je pris mon pouls au niveau de la carotide, il était tout ce qu'il y a de plus calme.
̶               Je ne sais pas, mais depuis ce matin, tout est si bizarre. J'ai l'impression de tout connaître et de tout ignorer en même temps. C'est comme si j'étais intemporel, que je n'appartenais pas à cet ici.
̶               Arrête l'alcool, je crois, ça te fait délirer et puis franchement tu pourrais me dire merci. Si j'n'avais pas été là, tu serais encore là-bas, sans doute mort à l'heure qu'il est. Tu ne bougeais pas, on aurait dit un zombie. Regarde-toi putain, t'as du sang partout sur toi et t'as pas bougé. Le sang d'un mec t'a giclé dessus et toi tu continu ais de siroter ton verre. La chose qui a fait ça a dû passer juste à côté de toi et t'as pas bougé… que dalle.
̶               Ah ? Euh… merci, lâchais-je à mi-voix, penaud.
̶               Mais j'en ai rien à foutre de ton merci, tu peux te le carrer où je pense. On dirait que t'es mort à l'intérieur, rien ne te touche, rien ne te fait réagir. Je prends le risque de te sauver la vie et rien… t'es qu'un putain d'égoïste.
Déjà-vu différent ; Elle hurlait de plus en plus fort m'assénant des tonnes de reproches que je ne comprenais pas pour la plus part. Je l'ai giflé, ce qui la stoppa net dans son flot de paroles. Elle se massa la joue. Elle me regardait avec des yeux brillants. Je me sentais con.
̶               Merci, dit-elle.
̶               Désolé
̶               Non c'est moi, je n'aurais pas dû t'accabler, personne ne réagit de la même manière.

J'allais lui répondre, lui redire ce qu'elle n'avait pas entendu sans doute, mais une voiture qui nous klaxonna et ralentit m'en empêcha. Elle s'arrêta à notre niveau. Une portière s'ouvrit et le plafonnier qui éclaira l'intérieur nous permit de reconnaître les parents de Julia. Son père me demanda si ça allait en me dévisageant. "Ce n'est pas le mien" lui dis-je et Julia me coupa pour dire qu'il fallait s'en aller et vite.
Nous montâmes à l'arrière et la voiture démarra.

"Que s'est-il passé ?" demanda sa mère. Je laissais à sa fille le soin de raconter, car moi je n'en avais pas la moindre idée.

̶               La soirée se passait super bien et tout d'un coup, quelque chose a surgi, c'était gros, il y en avait peut-être plusieurs et il a eu des morts, du sang partout et après c'était l'anarchie. Tout s'est passé si vite, tout le monde est parti dans tous les sens.
̶               Oh mon dieu !! s'écrièrent les parents de la jeune femme.

Je ne disais rien, j'intégrais les informations tout en essayant de reconstituer mentalement la scène, de recomposer avec les maigres souvenirs que j'avais et que je parvenais à extirper des limbes qui emplissaient mon cerveau.

Pourquoi les seuls trucs qui me marquaient étaient le cercle de l'astre nocturne et d'un hurlement ?
Dehors, les ombres du paysage défilaient à travers les vitres du véhicule. Plus on gagnait en vitesse, plus je nous savais un peu plus en sécurité en mettant de la distance avec ce danger.

Mes bras enserraient mon torse, ma main gauche cherchait à nouveau quelque chose, j'ignorais toujours de quoi il s'agissait.

 

*

 

Arrivés chez Julia, nous restâmes silencieux, étant couvert de sang, je pris ma douche en premier. L'eau chaude décolla l'hémoglobine coagulée sur mon visage, teintant l'eau d'une couleur entre l'orangée et le vermillon. Les effluves métalliques qui s'en dégageaient me faisaient tourner la tête et me donnaient l'envie de vomir. Avant d'être avalée dans le siphon, je cru voir se former en couleur, une à une, les lettres qui une fois réunies me donnèrent 'Marie-Lou'. Qui était-ce ? Ce prénom m'était apparu deux fois en moins de vingt-quatre heures et, je ne connaissais personne s'appelant ainsi…

 


Alors que je regagnais le salon, un million de questions m'assaillait, chacune en entraînant une ou plusieurs autres, le champ des possibles s'élargissait à perte de vue. Je m'installais dans un fauteuil, fermant les yeux pour tenter de me concentrer. Je sentais le regard de mes hôtes posé sur moi, gardant le mien clos, je leur dis que je ne me rappelais plus de rien, que… Toujours les mêmes réponses qui n'en étaient pas vraiment.

J'essayais de faire défiler sur mes paupières ce que je savais, ce que j'avais vu, mais l'écran de mes yeux restait désespérément noir. A l'intérieur de moi  c'était le néant. Je sentis rouler sur mon visage une larme, mais qui étais-je donc ?

 


Je dus m'endormir ainsi, l'algie s'éveilla en même temps que j'ouvris les yeux. Un cri de douleur s'exhorta de ma gorge. Mes mains se portèrent à mon côté droit et lorsque je les portais au niveau de mon visage, je vis qu'elles étaient couvertes de sang grâce à la lueur émise par l'écran de la chaine.

La lumière s'alluma et des bruits de pas me parvinrent.

̶               Fred, est-ce que ça va ? me demanda la mère de Julia qui se rapprocha, la voix encore ensommeillée.
̶               Non, non, j'crois pas… bafouillais-je.

Je la sentis s'approcher plus près encore et elle hurla. Elle fit un pas de côté pour saisir le combiné du téléphone et composa le numéro avant de coller l'appareil à son oreille et elle vint à côté de moi, le regard inquiet, cherchant désespérément de l'aide, quelque chose, un tissu peut-être.

"Ploc" mon sang se mit à goutter sur le carrelage. Du bruit à l'étage, les autres se réveillaient suite à l'attentat sonore. Ma tête bascula en avant, je devais voir de quoi il s'agissait. Une tache grandissante de sang imbibait mes habits. Je relevais mon pull et mon T-shirt et découvris un morceau de peau de mon côté droit arraché et d'où s'écoulait mon fluide vital. La fatigue me gagnait, j'avais froid tout d'un coup ; vertige.

̶                Au secours, j'ai un ado, qui a une plaie béante au côté droit et d'où le sang s'écoule abondement… je suis au 43 rue…

 

*

 


Je me réveillais ; lumière qui fait mal. Les néons blancs imbriqués dans les dalles du plafond diffusaient un flot lumineux agressif. Des bips réguliers, émis par une machine située derrière moi, me parvenaient clairement. Tournant la tête à droite et à gauche, je découvris des barreaux de part et d'autre du lit dans lequel je me trouvais. J'étais à l'hôpital.

J'entendais également deux respirations calmes du sommeil, mais dans ma position je ne parvenais pas à en connaître l'origine.

J'essayais de me redresser, mais une vive douleur, qui se diffusa dans tout mon corps m'en dissuada et m'obligea à ne pas bouger. Le "aoutch" que j'avais émis avait réveillé les deux personnes qui se trouvaient là.

 

̶               Frédéric, tu es réveillé ? Comment te sens-tu ? Que s'est-il passé ?

Demanda mon père complètement paniqué, mais je voyais un semblant de colère dans son regard, avait-il eu vent de la soirée. Je leur avais menti, je leur avais dit que je passais un weekend TV chez Julia, ça me revenait.

̶               Je ne sais pas ce qu'il s'est passé ! Commençais-je, la voix pâteuse. Je me rappelle m'être posé dans un fauteuil, et je m'y suis endormi. J'ai ressenti comme un coup de poignard et ça m'a réveillé, j'ai ouvert les yeux et il y avait du sang.
̶               Oui, mais les médecins ne comprennent pas, il n'y a aucune trace d'impact, c'est comme si c'était ton corps qui s'était rompu seul à cet endroit, ou alors tu avais une blessure avant et ça c'est rouvert dans un mouvement brusque.
̶               Mais c'est impossible, m'écriais-je. J'ai pris ma douche peu de temps avant de m'endormir et je peux vous jurer que je n'étais pas blessé. S'il y a des choses qui sont limpides pou moi, celle-ci en fait partie, mais le rêve que je faisais par contre je n'en garde aucune trace…
̶               Mais les rêves ne peuvent blesser ! Me coupa un médecin qui fit irruption dans la chambre. Veuillez m'excuser, docteur Mendez, je m'occupe de votre fils se présenta-t-il à mes parents comme si je n'étais pas là.

Ce nom me disait quelque chose, j'en cherchais une trace dans mon esprit, ce fut comme un déclic venu d'un autre temps.

̶                …constantes sont stables, le ba…
̶                Excusez-moi docteur, votre prénom, c'est bien Michel, n'est-ce pas ?
̶                Euhm, oui, mais co…
̶               Et vous avez un frère, qui se prénomme Sovan, qui travaille chez les flics à La Machine.
̶                Exact, mais  comment le savez-vous ?
̶                Je ne sais pas non plus, ça m'est venu comme ça.

En réalité, je le savais très bien, il s'agissait de personnages que j'ai mis en scène dans un texte et qui… non ça ne colle pas.

̶               Quelque chose cloche déraisonnablement.
̶               Non excusez-moi, j'ai sans doute du lire un article dans le journal où votre nom a été cité, et j'ai fait le rapprochement... Allez savoir.
̶               C'est probable, tu as de l'intuition cela dit. Quoi qu'il en soit, ta blessure semble se résorber, ce n'était que superficiel, impressionnant par rapport à la quantité de sang, mais tout va bien. Tu pourras rentrer ce soir si rien de nouveau ne se manifeste, toutefois, il faut te reposer.

 

*

 

Dans l'après-midi, me retrouvant seul, j'allumais la télé pour tuer le temps, le choix des chaines était plus que réduit. Je finis donc par échouer en désespoir de cause sur un canal local où étaient diffusées les infos. Un agriculteur parlait de la sécheresse de l'été et que de ce fait il arrivait déjà à court de fourrage pour l'hiver.

Puis la présentatrice annonça avec une certaine émotion que deux nouvelles disparitions d'enfants étaient à signaler, ce qui en trois jours portait le nombre à 12 enfants, dans le secteur du sud nivernais. Je réprimais un frisson. Pourquoi n'en avais-je pas entendu parler plus tôt ? Pourquoi ce mystère semblait-il me toucher ? Et pourquoi on ne parlait pas de l'incident de la soirée ?


Je pris la télécommande posée sur le chevet et éteignis la télé me disant que j'irais acheter le journal au kiosque de l'accueil. Reposant la télécommande, je découvris le journal du jour. J'aurai pourtant juré qu'il n'y était pas l'instant d'avant.

Pour la première fois depuis longtemps, je crois, je le lus, presque en entier, mis à part les sports et les trucs politiques. Mais au final, je n'y découvris absolument rien. En refermant la dernière page, je me rendis compte que le temps ne passait décidément pas et je m'endormis.



Tout était sombre, lugubre. Comme dans la majorité des rêves, je me vis par projection. Je marchais dans un lieu complètement noir, une pièce peut-être, mais il n'y avait aucun écho. Je me retournais encore et encore, à en perdre haleine, me précipitant d'un endroit à un autre, mais rien n'évoluait.

Soudain, un grognement qui me stoppa, suivit d'un souffle d'air et le bruit de quelque chose qui se déchire. "Hey oh" tentais-je, "Il y a quelqu'un ?" 

– Silence –

Je repris mes pas dans le néant, mais un changement c'était opéré. Le contact était différent, les sons émergeaient. Le sol était gluant et mes pas émettaient des bruits de succions à rendre malade. Aucune lueur ne m'éclairait, le noir total, étais-je atteint de cécité.

Une voix s'éleva, de partout et de nulle part à la fois.

̶               "Fred, il faut te réveiller, ouvrir les yeux, fouiller le brouillard, les limbes de ton esprit ! Les flammes des Enfers gèleront si tu ne le fais pas. Les forces qui m'animent sont en train de s'éteindre. Le passé est devenu une prison pour toi, remonte le fil, relie les points et tu trouveras la clé !"

 




EPISODE 5

 

 

 

 

̶               Fred, Fred, réveille-toi, je t'en supplie, débuta Marie-Lou désespérée avant de reprendre paniquée, Niko, va chercher une infirmière, s'il te plait.

Tout était sombre, les voix me parvenaient clairement, les voix me parvenaient clairement, mais je restais plongé dans le noir, avec un mal de crâne épouvantable. Que c'était-il passé ? Impossible d'ouvrir les yeux.

̶               Marie-Lou, grognais-je…

 

*

 

̶               On se réveille s'il vous plait ! La voix venait de changer
̶               Réveillez-vous s'il vous plait.

Un switch, bref et si intense qu'il en paraissait réel. Avoir vu son visage, un millième de seconde ; mieux qu'un rêve, un souvenir, avant de retomber dans les affres du néant.

̶                Monsieur, réveillez-vous…
̶                Remonter le fil du passé. Trouver… la clé… de la prison. Remonter le fil et trouver la clé.

Un filet flou de lumière apparue et disparue avant de reparaître. Nébuleux entrecoupé de rayures noires ; moire. L'entrée lumineuse s'agrandit, m'aveuglant. Le décor se composa, j'étais à l'hôpital.

̶                Vous vous réveillez, répéta la voix, vos dernières analyses ne révèlent plus rien, vous pouvez donc sortir.
̶               Je… je vous remercie. Mes parents sont-ils là ?
̶               Oui à l'accueil, ils signent quelques documents avant votre sortie.

 

Je sortis du lit, tiraillement au côté, se rappeler la blessure, la soirée, le lycée, un quotidien morne.

Un interne entra en poussant un fauteuil roulant, je le regardais, surpris, en demandant pourquoi ?

̶               Il ne faut pas que vous forciez, votre blessure est certes superficielle, mais la peau est un tissu fragile dans cet état.
̶               Et ? Non je ne sortirais pas sur "ça", dis-je en désignant le fauteuil du doigt. Il en est hors de question.

Il me contredit prétextant encore, tout un tas de trucs, je ne l'écoutais plus.

̶               Non, je me sens très bien, mentis-je. Parce que physiquement, je me sentais bien, mais la confusion mentale était encore présente… Je devais trouver la clé.

 


Plus d'une heure et demie plus tard, je pouvais enfin quitter ce lieu que je détestais au plus haut point, et sur mes jambes.

Toutefois, je devais reconnaître que l'interne avait raison, ça faisait mal, malgré le bandage que je portais. Le frottement, des vêtements, associé aux secousses de la marche étaient désagréables au possible, douloureux aussi.

 


Dans la voiture, mes parents me posèrent des questions sur la soirée, et le pourquoi j'avais menti. Je n'avais guère de réponses, mises à part répéter les mêmes choses. Toutefois mes parents ne me blâmèrent pas pour avoir menti… Les blessures pouvaient avoir du bon, au final.

Les ombres s'allongeaient au rythme des kilomètres avalés par les pneus du char familial. Le soleil se faufilait entre les troncs créant une alternance de lumière et de pénombre, créant une illusion lancinante de berceuse ; stroboscope mi-mécanique mi-naturel qui me plongeait dans la fantasmagorie. Clignements lumineux tels des yeux qui me fixaient çà et là prenant un air de plus en plus sombre et menaçant. La radio grésilla et la musique vibra, donnant un tempo rapide, mon cœur s'aligna sur les basses et je me sentis partir. Dérive vers l'inconnu.

Il faisait sombre et je me cognais d'un côté et de l'autre au rythme de mes pas calqués sur la musique. Des arbres, une forêt, la lumière vive m'attirait à elle, scintillements, clignotements.


Dans la main, un gobelet, j'avançais, je sentais l'humidité des lieux, cette odeur de terre humide en début de pluie, mais il y avait une odeur plus forte, soufrée, plus musquée, un animal peut-être ? Je sentais un regard posé sur moi, mais en cherchant de toutes parts, rien ; sentiment oppressant.
 
Je gagnais la foule, des visages souriants, amusés. Puis soudain, des grondements sourds, inquiétants, mais qui restèrent étouffés sous la musique, dans un premier temps, avant qu'ils se fassent plus fort et là les sourires muèrent en peur. Quelque chose me frôla, massif, sombre, une aura malveillante s'en dégageait. La chose arracha littéralement le cou d'un lycéen qui se trouvait devant moi. Son sang m'aspergea complètement, et je ne parvenais pas à bouger. La créature se retourna dans ma direction tandis que le corps du lycéen s'écrasait au sans vie contre le sol. Je découvris alors un faciès monstrueux, non humain, poilu, avec une gueule pleine de crocs dégoulinants de sang… je savais ce qu'était cette créature, mais je n'arrivais pas à la nommer.

Puis elle se détourna et partit à vive allure dans une autre direction. Au milieu de la foule un gamin se trouvait là, apeuré et personne ne semblait le voir. Une ombre fugace et il avait disparu. Je le cherchais du regard, mais ne le vis pas. C'est alors que mes yeux rencontrèrent un spot lumineux géant. Je n'arrivais pas à m'en détacher, comme si je cherchais à m'aveugler. Au bout de quelques secondes, je vis que quelqu'un se tenait devant, en contre-jour faisant de grands gestes, fronçant les yeux j'essayais de comprendre.
Brusquement, Julia se mit devant moi et m'empoigna…
 

Je me réveillais brusquement soudain, en prenant une grande inspiration alors que la voiture s'immobilisa.

̶               Nous n'étions pas seuls, il y avait autre chose, dis-je brusquement.
̶               Quoi ? Demanda mon père.
̶               A la soirée, il y avait quelque chose d'autre, c'n'était pas humain, tentais-je d'expliquer alors même que s'effaçaient de ma mémoire les détails de cette vision.
̶               Tu… tu es encore en état de choc, dis ma mère en se retournant vers moi.
̶               Tu viens de faire un cauchemar, ajouta mon père. Tu extrapoles, tu voiles la vérité. Il faut enfermer ce souvenir dans un coffre et jeter la clé. Tu verras tu te sentiras mieux. Ce qui prévaut c'est ta santé que tu ailles bien.

Je n'avais jamais entendu mon père me parler ainsi, lui qui semblait taciturne, ancré dans le concret… J'étais surpris.

̶               Tu as peut-être raison, je m'y efforcerai, dis-je en décrochant ma ceinture et ouvrant la portière

Mais pourquoi avait-il parlé de coffre et de clé ? Cela semblait faire écho à ce que disait cette voix à l'hôpital.

Je sortis de la voiture, tout était calme, le soleil n'éclairait plus la céleste voûte et son miroir nocturne commençait à prendre le relais.

A peine poussais-je la barrière, qu'une ombre fugace apparut pour disparaître derrière la haie de troènes, me faisant sursauter, mon cœur battait fort. J'essayais de voir de quoi il s'agissait au travers des arbustes, mais je ne vis rien ; sans doute une hallucination, tentais-je de me persuadais-je ; j'entrais. L'ombre reparut brusquement et me poussa dans les jambes, et des jappements éclatèrent. Mes yeux captèrent un peu plus de lumière sous l'influence d'une poussée d'adrénaline, et je découvris un chien. J'avais un chien, il jappait de plus en plus, bougeait sa queue frénétiquement, comme un fou.

̶               Appolo ! gronda mon père, mais l'animal ne se calma pas.

Appolo, c'est ça pensais-je, je n'arrivais pas à retrouver son nom et pourtant tout un tas de souvenirs avec lui refaisait surface. Je me mis à genoux et l'enserra pour lui faire un câlin, tel un enfant.
J'étais si heureux, il me manquait.
 
Au bout de quelques minutes, je me relevais. J'avais un chien, pourtant hier matin, il n'y en avait aucune trace, comme s'il n'avait jamais existé ; bizarre.
J'avais l'impression de devenir fou, des éléments s'ajoutaient et d'autres disparaissaient. Étais-je malade ?
 

*

 


Les jours se succédèrent avec cette même routine quotidienne : se lever, aller au lycée, rentrer, se coucher… le train-train quotidien auquel s'ajoutaient des rires, de la joie – le bonheur somme toute.

Un peu moins d'une semaine après la 'fameuse' soirée, une nouvelle douleur vive me réveilla à l'épaule droite cette fois, je serrais les dents pour ne pas hurler. En allumant, je découvris sur mon T-shirt, une tache de sang qui s'élargissait au fil des secondes. En relevant ma manche, je découvris trois estafilades quasiment parallèles moyennement profondes. Le fluide carmin s'échappait à flot. Je retirais mon t-shirt et le transforma en garrot, je ne voulais pas retourner à l'hôpital. Cherchant autour de moi ce qui avait pu causer cela, je ne découvris rien. Comment était-ce possible ?

Je parvins à me rendormir et lorsqu'au petit matin le réveil sonna, je décidais de garder le silence même si le fait de retirer le tissu coagulé avec mon sang eut été un supplice. La blessure se cicatrisa en une journée ou deux.

Cela se reproduisit une fois dans la semaine,  mais plus légèrement. L'Internet me fut d'aucune utilité pour trouver un lien entre les rêves et les blessures physiques, à part pour les blessures auto-infligées, mais ça ne pouvait être le cas pour moi, j'en avais la certitude, même si la question tournait perpétuellement dans ma tête.


Malgré ces désagréments, je parvenais à profiter de la vie, ces choses simples qui rendent joyeux. L'école est un truc fastidieux pour n'importe quel jeune, pourtant, je trouvais ça cool, car j'étais persuadé d'avoir déjà vécu une vie adulte. Alors que devais-je faire ? Arrêter de chercher qui j'étais réellement et retrouver mon époque, ou alors continuer ?

Ce matin-là, je me posais encore cette question alors que je remontais à pied la route qui me conduisait à l'arrêt de bus, le jour se levait tranquillement, le ciel était rouge, un matin de sang, et un nuage d'une blancheur éclatante, lavé avec une lessive qui lave plus blanc que blanc, se plaça en plein milieu de ma vue, créant un sens interdit céleste ; un signe. On me disait d'arrêter de chercher et de profiter des joies, des bonheurs de la vie.

Une semaine plus tard, j'avais l'impression que d'heure en heure, je me sentais mieux, plus serein, plus fort que ces derniers jours en tout cas.

C'est comme si une épée de Damoclès s'était soudainement éloignée de mon cou. Des amis m'avaient proposé de passer un weekend avec eux dans une sorte de club nature, au programme, kayak, accrobranches, bref de l'amusement. J'avais accepté de bon cœur.

Les choses semblaient avoir repris leur place, la soirée semblait pour tout le monde qu'un lointain souvenir et tous étaient passés à autre chose, comme d'un accord collectif induit.



Le vendredi soir arriva et je retrouvais avec joie ma voiture que mes parents me prêtaient de temps à autre ; instant de liberté. Je jetais mon sac de cours dans le coffre et me glissais derrière le volant, qui était devenu brûlant avec le soleil de l'après-midi. Je pris la route pour effectuer les cinquante kilomètres qui me séparaient de l'amusement du weekend.

Après une heure et demie de route, parce que je m'étais légèrement perdu, je coupais le moteur, garé en plein milieu de la forêt aux côtés de deux autres véhicules face à une immense pancarte "AccrEauBranches", le nom du parc. Celui qui a trouvé ce nom ne s'était guère foulé, c'est le moins que l'on puisse dire. Je sortis me dégourdir les jambes et connaître mon environnement. Il faisait plutôt frisquet.

Je percevais en contrebas, le bruit caractéristique des cours d'eau, un son reposant, je fermais les yeux un instant me laissant bercer par le bruit des flots, inspirant profondément, je m'apaisais intérieurement. Calme, jusqu'au moment où une voiture gravissait la route à toute vitesse, la musique à fond. Les yeux toujours fermés je sentis mes lèvres s'étirer en un sourire et me dis, tel un leitmotiv "Nous serons bien ici !"

Nous rencontrâmes le propriétaire du lieu qui nous encaissa et montra notre chambre. C'est dans la bonne humeur et la convivialité que nous prîmes le diner dans la salle commune avec les animateurs, pour qui c'était le dernier weekend de la saison, et deux autres groupes, un peu plus âgés. Les plats étaient simples, mais bons, à la manière d'une cuisine familiale. Le propriétaire prit la parole et ce que je retins de son discours était d'allier le dépassement de soi et l'amusement. Après quelques applaudissements de mise, il alluma la stéréo et l'alcool commença à couler à flot, emportant dans un torrent les minutes et les heures de la nuit.



*

̶                Allez, fais une pause avec nous, profite !
̶                Non pas de suite, je veux me cramer les muscles, je sens que j'y suis presque.
̶                Comme tu veux, mais c'est nous qui avons les bières, plaisanta Julien
̶                Ouai, on le rejoindra plus tard, entendis-je dire Jeremy.

C'est le vrai le canoë, me fatigue au possible, mais c'était bon. Tellement de choses s'étaient passées en peu de temps et je n'avais pas encore pu me défouler. Là, c'était le bon moment.

L'eau était lisse, aucun courant pour m'aider. A chaque coup de pagaie supplémentaire, j'avais l'impression que mes muscles allaient se détacher ; le plaisir dans la douleur ; le masochisme.

Chaque mouvement envoyait une décharge électrique pénétrant mes chairs jusqu'aux os, de mes doigts aux épaules, les nerfs transmettaient une info à répétition "STOP !", mais je ne voulais pas l'écouter. Impossible, je voulais tomber de fatigue, que mon corps emmagasine un surplus de fatigue pour qu'ils la transmettent au cerveau pour le fatiguer lui aussi. Je voulais passer au moins une nuit sans cauchemar.
Certes, lorsque l'alcool inondait mon esprit, je n'en faisais pas, mais je ne pouvais décemment pas boire chaque jour avant de me coucher.

Non, j'avais besoin de cette fatigue de ce jour, alors je pagayai comme s'il ne me restait plus que ça pour rester en vie, pour ne pas devenir fou, même si ce masochisme pouvait me faire passer pour tel aux yeux des autres. J'avais conscience de cette ambivalence, toutefois, je crois que je me devais d'agir de la sorte.

 

Le choc fut glacé, humide. De surprise ma bouche s'ouvrit, relâchant une goulée d'air sous l'eau, et le vide appelant le plein, le liquide s'engouffra dans ma gorge, sans que je ne puisse l'en empêcher. L'eau prit la mauvaise voie, je devais la recracher, mais la brûlure qui en résultait était si forte qu'elle me donna l'envie de tousser. Non il ne fallait pas, car pour tousser il fallait prendre de l'air, ce qui était impossible, tout allait s'empirer… trop tard. Je n'arrivais à extraire ma tête hors de l'eau, comme si on me maintenait dans cette position.


*Noir*

 

Je dois en trouver des parfaits, des candidats qui me rendront plus forts. Ils ne m'auront pas, ce Nicolas pourrait joindre sa force à la mienne, mais il y a cette maudite nana qui semble le retenir, elle agit comme une conscience pour lui. Si elle n'était pas là, cet idiot me mangerait d'ores et déjà dans la main. Je dois trouver un moyen de me débarrasser d'elle  et faire porter le chapeau aux autres, je pourrais alors approcher  Nicolas qui se sentira tellement mal, car il n'aura pas respecté son engagement envers son ami… "Tu es un génie !"

*

Non, il ne faut pas abandonner, ouvrir les  yeux ; voir au travers de l'eau, se débattre, le dos heurte les pierres du lit de la rivière, en profiter ; donner l'impulsion ; remonter. Ecouter, se laisser porter, bercer par ce chant, unique, mélodieux ; se calmer, être comme sur un nuage, s'apaiser encore.

Soudain le chant s'arrête, le poids disparait. Remonter à la surface, avaler de l'air, tousser, recracher l'eau ; question de survie. Des grognements, tourner la tête, ne rien voir. Regarder le ciel, le voir masquer par des ombres noires, menaçantes.

Qu'est-ce que c'est ? Les grognements se firent plus virulents, plus rageurs, plus violents aussi. Un raclement suivi du crissement de l'acier sur la pierre et un bruit d'évaporation spontanée. Lutter pour garder la tête hors de l'eau, le froid me transit, la fatigue qui gagne mon corps, "pas maintenant, pas encore, encore un peu de répits, donner moi encore quelques forces, par pitié", psalmodiais-je. Bruissements de feuilles, des pas qui frappent le sol. Les trois ombres fondirent sur moi, me révélant qu'elles avaient un visage, vaguement caché derrière une espèce de voile vaporeux laissant transparaître des yeux quasi humains et une bouche sanguinolente. Panique.



Le chant repris, une voix différente, et les abîmes se rouvrirent. La main sombre s'approcha en douceur, passa derrière mon cou, et avec violence elle me força à basculer ma tête sur le côté. Sa tête se rapprocha, ses lèvres sanguinolentes s'ouvrir dévoilant des dents aiguisées. Je ne sais si c'était mon imagination, mais je sentais comme une odeur de charogne qui s'en échappait... je donnerai tout pour retrouver loin sous la surface de l'eau.

Une masse de couleur ocre foncée, aux reflets roux, bondit de la forêt, majestueuse. Ses énormes pattes heurtèrent de plein fouet la créature qui me menaçait, le contact brisa la connexion mentale et le chant s'interrompit. La gueule du monstre mordit et arracha la créature sombre qui m'"hypnotisait" avec une telle puissance, qu'il en arracha un morceau et dans son geste, un liquide visqueux noir m'aspergea la face et mon t-shirt. J'avais soudainement chaud. Le monstre atterrit avec sa proie sur l'autre rive, d'un coup de patte il sépara la tête du corps. Impression de brûler. Là où le liquide noir s'était posé, le tissu était inexistant, de l'acide. Je retirais mon t-shirt pour me débarrasser de cette merde qui maculait mon visage, plongeant dans l'eau pour arrêter la brûlure.

Je ressortis de l'eau le souffle court, faisant courir mes doigts sur mon visage pour m'assurer de la disparition du liquide noirâtre. Par chance, la substance n'avait pas eu le temps de pénétrer ma peau.

Je tremblais, le froid sans doute, mais surtout la peur qui m'envahissait de plus, je ne comprenais rien à ce qu'il se passait, qu'avais-je fait pour que des trucs aussi dingues m'arrivent ?

*

Fichus vampires de pacotilles, ils me font perdre un temps considérable. En plus, cette nana et sa clique se rapprochent dangereusement, ce n'est pas le moment. Les vampires étaient une dizaine à planer tout autour de moi alors que la nuit venait de tomber. Je n'avais aucun projectile à portée de main, juste les dons lycans que je parvenais à maîtriser peu à peu. Pourquoi m'attaquer, ne ressentent-ils pas que je n'ai plus le Carnet ?

*
Les voix de mes collègues de weekend me parvinrent, la créature qui m'avait sauvée et que je reconnaissais en ce qui s'approchait sans doute d'un loup-garou, les entendit également et releva la "tête". Il me regarda et me dit d'une voix chaude et douce.
̶               Ne parle de cela à personne, il ne faut pas éveiller les soupçons, je suis le seul à ne pas être sous son contrôle. La clé n'est pas loin, et le coffre s'ouvrira pour te libérer...
̶               Mais, je... Quoi ?

La créature s'éloignait déjà avec dans la gueule, sa proie, elle s'arrêta, lâcha son fardeau et dans un dernier regard, ajouta "Je reviendrai dès que cela me sera possible. Ai confiance, je te rendrai ta liberté, je t'en fais la promesse.

J'allais lui demander de plus amples informations, mais la créature était déjà partie.

̶               Qu'est-ce qui se passe Fredo ? Tu as vu quelque chose ? me demanda Jeremy.
̶               Quoi ? Euh non, rien, rien ! Répétais-je en essayant d'être plus convaincant.
̶               Qu'est-ce que tu fous dans l'eau ?
̶               Un mauvais mouvement, la fatigue aidant et PLOUF, répondis-je bêtement, dans un haussement d'épaules.
̶               Tu veux te reposer un peu ? On allume un feu, histoire que tu te réchauffes. ça s'rait con que tu t'choppes la crève. L'eau est glacée, t'es tout tremblant.
̶               Non ça va le faire. C'est juste la fatigue. Elle n'est pas si froide, une fois dedans, vous devriez essayer, blaguais-je.

 


Nous fîmes tout de même une halte. Cependant, j'avais un peu peur qu'en restant sur place, nous découvrissions des traces de ces créatures volantes. Une petite pause autour d'une bière avant de reprendre la rivière encore une bonne heure, durant laquelle j'essayais de comprendre ce qu'il venait de se produire. Mais même en retournant la situation, la conversation, dans tous les sens, tout cela n'avait ni queue ni tête.

Le terminus arriva au final, telle une bénédiction, une délivrance. Le sport et la peur avaient cramé toute mon énergie, j'étais réellement naze. Pourtant, je savais que la journée était loin d'être terminée.

Le bus de rapatriement arriva peu après, nous avions respecté le "timing prévu" du parcours. Nous prîmes place à bord aux côtés des autres "weekenders" qui avaient choisi des parcours plus courts.

Je mis ma tête contre la vitre et ressentis les premières vibrations du moteur qui résonnèrent dans mon crâne et je m'endormis, me plongeant dans un monde sombre où seuls deux yeux jaunes ne cessaient de m'épier. C'était étrange, mais à chaque fois qu'ils se fermaient, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, je tremblais, la peur m'envahissait, non pas qu'ils puissent être un signal pour me dévorer, non, plutôt que cela signifiait que plus personne ne me protégeait de l'inconnue, du néant.


J'ignorais ce qu'ils étaient, qui se cachait derrière, mais au plus profond de mon être quelque chose s'était éveillé, quelque chose qui connaissait cela et qui me murmurait, me hurlait que je ne devais avoir peur. "Retrouve-les enfants, ils sont la clé !"
̶               Retrouver les enfants, ils sont la clé, répétais-je dans mon sommeil et ma voix me réveilla.

Lorsque j'ouvris les yeux, tous les passagers du minibus me dévisageaient, je n'étais l'aise et m'enfonçais dans mon siège.


"Désolé", bredouillais-je, "un cauchemar je crois", tentais-je dans un sourire crispé et tous retournèrent à leur conversation. Un coup d'œil à ma montre m'apprit qu'il était presque 17h30, une bonne heure que nous avions pris place à bord. Dix minutes après, nous arrivâmes à la base de loisirs. Trop tard pour commencer une cession d'accrobranche, nous finîmes par jouer au ping-pong.

Mais je n'arrivais pas à me concentrer sur le jeu, trop absorbé par ce qu'il s'était passé plus tôt et par ce rêve étrange, je décidais de me coucher plutôt que de faire perdre leur temps aux autres. Je pris congé et m'excusais prétextant la fatigue et sans doute un début de rhume dû à mon exposition prolongée dans la flotte glacée. Je m'endormis comme une masse.

Je m'éveillais au grincement de la porte de la chambre. Par la lumière qui filtrait par l'ouverture, je parvins à reconnaître Julien en contre-jour.

̶               Tu es réveillé ? Demanda-t-il à voix basse. Tu veux venir manger avec nous, il faut que tu reprennes des forces !
̶               Non, ça va aller, je te remercie.

Il referma la porte sur lui et s'avança.

̶               T'es sûr que ça va Fred ?
̶               Oui, je me sens juste très fatigué en ce moment, c'est tout. Une bonne nuit de sommeil arrangera le tout.

Tout se passa ensuite très vite. Julien sortit une corde, qu'il cachait dans son dos. Il l'appuya avec force et violence sur mon cou, coupant net ma respiration. J'avais beau me débattre, j'avais l'impression d'être englué, c'était pire de seconde en seconde. Impossible non plus de hurler, des taches sombres parsemaient déjà ma vue.

Et soudain, les yeux jaunes apparurent. "Bats-toi !" me glissa une voix.
Je parvins au prix de terribles efforts asphyxiés à repousser mon assaillant. Je pu alors inspirer un grand coup provoquant une vive brûlure dans la gorge qui me fit tousser, ce qui amplifia encore la douleur. Julien revint, une lueur de folie dans les yeux.

*Réveil*

Je me relevais haletant comme un chien après une course, me massant le cou. Julien et Jeremy entrèrent dans la chambre en allumant. Je tournais la tête vers eux, hagard, me rendant compte que j'étais tout couvert de sueur.

̶                Ça va ?
̶                Nickel, mentis-je en tentant de reprendre mon souffle. Juste mon subconscient qui déraille complet, mais rien de grave. Il n'y a pas mort d'homme, enfin si, moi, dans ce cauchemar.
̶                Écoute Fred, on commence à se faire du souci pour toi mec. Depuis quelque temps tu vis dans la crainte, je sais bien que ce qui t'est arrivé ces derniers temps entre en ligne de compte, mais tu ne dois pas vivre en craignant qu'il arrive quelque chose de grave.
̶                Qu'est-ce que tu en sais ? Ce n'est pas quelque chose qui se contrôle. Et, je ne peux pas faire comme si de rien ne s'était passé. Je dois comprendre le pourquoi, déterminer ce qui est arrivé. Alors à ce moment-là seulement je pourrais passer à autre chose.
̶                Je veux bien te croire, mais sache juste que tu n'es pas seul, on veut t'aider, mais tu dois nous dire ce que tu as vu.
̶                Ne fais pas ça, ne dis rien, sinon le piège se refermera plus solidement.
̶                Je... je n'en sais foutrement rien. J'ai juste senti la présence de quelque chose d'inquiétant, comme si la mort était toute proche. C'est insensé, je sais, mais c'est ce que je ressens actuellement et ça empire.
̶                Écoute, ne le prends pas mal, mais il faudrait que tu consultes. Je ne dis pas que tu es fou, mais ça te ferait sans doute du bien, tu as subi une sorte de traumatisme et... Et on est jeune, on a une longue vie devant nous, on a absolument pas à s'inquiéter de quoi que ce soit, la vie est belle mon gars.

Je ne savais pas quoi répondre, son propos final était si absurde, "la vie est belle" pff, c'est se voiler la face que de prétendre ça. Une répartie à la Pangloss dans Candide... Mais je ne dis rien, ils étaient là pour essayer de m'aider, et je les remerciais silencieusement de leur sollicitude.

̶                Bonne nuit, je suis vanné.

*


Le lendemain, le réveil fut difficile, les muscles endoloris par les efforts et les tensions de la veille se répercutaient sur mon état de fatigue. J'avais la sensation d'être plus vieux que l'image renvoyée par le miroir.

Après plusieurs cafés, qui n'y changèrent rien, je m'obligeais à me sentir plus revigoré qu'il n'y paraissait.

Aux environs de 9h30 nous nous équipâmes pour l'accrobranche, activité que nous fîmes jusqu'à midi, sans problèmes, du moins après les premières appréhensions passées. Après le déjeuner, nous décidâmes qu'il était temps de rentrer. Le trajet fut long et me sembla durer plus que l'aller, surtout lorsque des trompes d'eau décidèrent de quitter les strates supérieures du ciel.

 


Je fus heureux d'enfin regagner la maison, qui était déserte, mes parents ayant décidé de s'absenter. Je voulus me lancer dans les devoirs, mais le cœur n'y était pas. Non j'étais encore et toujours intrigué par le "loup" qui m'avait sauvé, du moins par les propos qu'il avait tenus. "Les enfants disparus sont la clé", voilà le raccourci que j'avais retenu.

Je cherchais sur le net des infos sur ce sujet, ce qui me prit un temps incroyablement long, avec cette fichue connexion en 56k, pour au final pas grand-chose. J'avais trouvé une carte de la région, indiquant les disparitions et les autres incidents étranges, la soirée de Decize en faisant partie. Je décidais de l'imprimer et d'y ajouter la rencontre du weekend. Bon, bah ça ne servait à rien. "Relie les points entre eux" entendis-je, relevant la tête en quête de l'origine de cette voix. Mais il n'y avait personne dans la maison… voilà que je commençais à entendre des voix comme Jeanne d'Arc, j'espérais juste ne pas connaître sa fin…



Toutefois, l'idée de relier les points entre eux me parut intéressante et le fis. Comme la carte était peu précise et couvrait une zone assez vaste, je ne pus déterminer précisément quel lieu indiquaient les lignes que je venais de tracer. Mais ce qui m'inquiétait, c'est que le croisement des droites se situait grossièrement chez moi… Je décidais donc d'aller chercher une carte plus précise. Informatiquement, je fis le même exercice, et le résultat me soulageait légèrement, le point de rencontre se situait à La Machine, à moins de cinq kilomètres de chez moi.

Irrépressiblement mes mains furent prises de tremblements, ce ne pouvait être une coïncidence. Je restais devant mon écran, ahuri somme toute. Les lignes tracées grandirent encore, dans ma tête, au-delà des points d'évènements et s'arrêtèrent chacune sur une lettre de nom de ville. Je reconstituais mentalement le mot formé et découvris "Marie Lou", un prénom qui m'était sorti de crâne, auquel je n'avais pas pensé depuis longtemps. Marie-Lou, ce prénom était revenu sans cesse depuis que je me sentais bizarre, une autre coïncidence ?


Mais je ne connaissais personne s'appelant ainsi… Pourtant, il éveillait quelque chose de puissant en moi. A chaque fois que je le voyais écrit, que je le prononçais… mon cœur semblait battre plus fort, résonnait d'aise… Pourquoi ?

Les frissons s'amplifièrent encore.

Sauvegardant l'image, j'éteignis le PC et remplis quelques trucs pour mes devoirs, afin de ne pas présenter feuille blanche et m'allongeais sur mon lit. Je luttais entre l'envie de sombrer dans les limbes du sommeil et l'envie de refaire cette carte. La fatigue eut raison de moi. Plongeant dans l'obscur du sommeil, j'étais comme aveugle, je tremblais, la peur, l'inconnue tapie dans le noir, invisible. Le danger, puisque je ne savais de quoi ce 'sommeil' serait fait, rêve, cauchemars, pouvait venir de n'importe où. Alors, à quoi bon précipiter la fin ? Je m'assis dans le néant, fermant mes paupières, puisque ma vue ne servait à rien ici, je m'endormis dans mon rêve.

Je fis alors surface dans un lieu plus sombre encore, je ne savais pas cela possible, la panique me gagnait. Je m'agitais dans mon lit, je le ressentais. Et soudain, ils étaient là, ces deux yeux jaunes qui ne me quittaient plus, je me sentais rasséréné par leur présence, je m'apaisais.
̶               Qui êtes-vous ? Lançais-je à leur égard, mais personne ne me répondit. Je me dis que c'était normal que ce ne fût que la projection de mon subconscient. Toutefois, je savais que ces yeux me surveillaient, ou plutôt, veillaient réellement sur moi.


Au matin, les souvenirs de la nuit s'évanouirent, ne restait qu'une impression de bienveillance. Un coup d'œil au réveil m'apprit qu'il était 5h45 et que l'alarme n'aurait pas besoin de se mettre en route.

La lumière diaphane de la Lune éclairait mon armoire et u faisait apparaitre par un jeu d'ombre deux lettres, M et L. Je ne comprenais pas comment c'était possible, mais j'en abandonnais la recherche mon esprit traduisit ces lettres par 'Marie-Lou', encore et toujours. Qui était-ce ?


En me redressant sur le lit, une feuille tomba, j'allumais la lumière, et la saisie au sol pour la regarder. Il s'agissait de la carte de la veille, à ceci près qu'il y avait une inscription manuscrite "ce sera pour aujourd'hui, tien toi prêt !". C'était mon écriture, mais je ne me rappelais pas l'avoir écrite. Au loin, j'entendis des hurlements de loups, comme ceux que l'on entend dans les films, stressants. Me rendant compte du ridicule de ma réaction, je me raisonnais "ce ne sont que des chiens…".

La musique du réveil se mit en route et je l'éteignis rapidement. Je ressentais le besoin d'essayer d'entendre à nouveau ces hurlements, il n'y en avait plus, ou peut-être n'y en avait-il jamais eu, une vue de l'esprit peut-être comment en être sûr ? Me levant, je descendis prendre ma douche, au détour du salon je m'aperçus que la TV était éteinte, mon père n'était pas encore levé, bizarre, pensais-je en haussant les épaules et poursuivant mon chemin.


Je sortis de la salle de bain, mon corps parcouru de frissons, comme si quelque chose allait arriver en danger, mais j'éternuais et mis donc ces spasmes sur le compte d'un rhume qui débutait. 7H, l'heure de partir, je pris mon sac à dos et me retrouvais dehors. Soudain les cloches de l'église sonnèrent d'une manière inhabituelle. Les dings et les dongs métalliques étaient beaucoup trop rapides pour indiquer l'heure. Je parcourus le kilomètre et demi qui me séparait du bourg à toutes hâtes. A cinquante mètres de la place du village, je me stoppais net. Des gyrophares bleus et rouges clignotaient de toutes parts. Je restais interdit. Que se passait-il ? Je tentais de m'approcher, comme si de rien, projetant mon ouïe en quête d'une bribe d'information.
̶               Hey mon gars, faut pas rester là ! m'invectiva un policier.
̶               Mais.. Et mon bus ? Répondis-je.

Il haussa les épaules pour toute réponse avant de se retourner vers ses collègues. "…8/9 ans cette fois-ci…"
Des enfants donc, le "cette fois" me fit lier cette histoire à ceux qui avaient été portés-disparus. Tout ça arrivait jusqu'ici. Un hurlement se fit entendre dans la lumière du jour, mais je ne réagis pas. Je me calais au poteau d'arrêt de bus, le temps qu'il arrive. Lorsque ce dernier ouvrit ses portes à ma hauteur, je gravis les marches et me trouvais une place, le temps de retrouver ce que je devais faire. J'ignorais ce que les autres passagers me demandaient faire comme s'ils n'étaient pas là.


Durant les cinq kilomètres de la première partie du trajet, je me mis à cataloguer tout ce qu'il s'était passé, qui sortait de l'ordinaire de puis la première impression étrange que je n'appartenais pas à ce lieu ; et il y en avait beaucoup, beaucoup trop. Pus je me remémorais la carte qui au final triangulait sur La Machine, pourquoi pas Trois-Vèvres ? Parce qu'au final, c'est bien là que les enfants avaient disparu, ce qui portait leur nombre à quatorze au total. Mais la carte ne devait pas indiquer le prochain lieu de l'attaque/ l'enlèvement, non, mais sans doute plus probablement le lieu d'origine. C'était donc là que je devais aller. Le mot de ce matin m'indiquait ce me tenir prêt, oui, mais pour quoi ? C'était donc pour aujourd'hui et je n'étais pas prêt, je n'avais rien préparé…

Qu'allais-je trouver ?

C'est sur cette question que le bus s'arrêta. Malgré moi je me levais et sorti du bus. Je ne continuerai pas jusqu'au lycée, jusqu'à Decize. Non je voulais des réponses. Les lycéens s'engouffrèrent dans le bus. Les portes se fermèrent. Les cloches de l'église sonnèrent la demie. Le bus s'éloigna. Un vent froid me glissa sur la peau.


Inspirant à pleins poumons, je marchais, remontant cette place des Fusillés. Sombre histoire de ce parking qui n'en était pas encore un dans les années 40. Les hommes et les femmes fusillés ici même en cette époque n'avaient pas choisi cette fin pour leur vie, et pourtant c'est ici que je scellais la mienne.

Je me mis à courir, m'éloignait, se rapprocher de je ne sais où.


Pour vivre heureux, vivons cachés disait-on, alors je me dis que pour accomplir ces méfaits, il fallait l'être également. Et, si la carte disait vrai, dans cette ville, les mines étaient une planque idéale. Enfin, je crois. Les rues n'étaient que peu animées, il était encore tôt, une aubaine, puisque je n'y rencontrais personne qui connaisse suffisamment mes parents pour les prévenir de cette balade hors des sentiers battus.


Après une vingtaine de minutes de course, j'arrivais au niveau de l'étang Grenetier bordé de montagne de charbon non exploitable, des terrils.

"Et ?" m'interpellais-je. Oui et à quoi m'attendais-je, qu'il y aurait une fête, des drapeaux pour signifier que j'avais trouvé leur repaire ? Pff quel con? Je n'avais pas la moindre idée de ce que je devais chercher. Une fois de plus j'étais un loser.

Cependant, je décidais de grimper au sommet de cette colline de déchets miniers. Transformant cette quête en jeu, je me mis à la gravir à la course.

À mi-chemin, à bout de souffle, levant les yeux vers le sommet, je sentis que quelque chose clochait. J'eus l'impression que c'était une montagne, comme si la réalité se déformait, j'étais encore loin du point  culminant de ma destination. Je poursuivis l'ascension, je toucherais au but qu'importe la distance. Plus j'avançais, plus j'avais l'impression que le point culminant m'échappait. Un peu comme dans le désert, croire qu'il n'y a pas de fin, de ligne d'arrivée.

Mais je parvins à le vaincre, en combien de temps, je ne saurais le dire, cependant le soleil qui arrivait faiblement à traverser l'épaisse couche de nuages et de brume qui se formait au-dessus de l'étang était déjà haut dans le ciel pour la saison.



Au sommet, mais que chercher ? Je parcourus le paysage du regard, mais il ne s'accrochait sur rien. Mes talents d'enquêteurs étaient bien faibles au final. Fermant les yeux, j'essayais de tendre l'oreille en quête d'un signe. Le vent, le bruissement des feuilles, un poisson qui saute hors de l'eau, des canards, qui cancanent, des oiseaux qui s'envolent brusquement, le silence ; un crissement de graviers, là, tout près. Le temps de comprendre, quelque chose me heurta l'épaule. Rouvrir les yeux. Découvrir quelqu'un à côté de moi. Faire un pas de côté. Glisser. Chuter. Se cogner la tête.

Conscience. Se redresser. Trouver l'équilibre, vite. Mais l'homme est de nouveau  là, juste à côté, pieds nus et portant des vêtements pas à sa taille.

̶               Fred, calme-toi, je ne te veux pas de mal.
̶               C'est ce que tous les assassins disent !
̶               J'aurai pu laisser les vampires te tuer dans la rivière. Tu vois, sans me salir les mains, si c'est ce que je voulais.
̶               Vous ? Vous êtes la créature qui m'a sauvé, mais vous êtes un homme !
̶               Je peux être loup si tu préfères ?
̶               Qui êtes-vous ? Qu'êtes-vous?
̶               Qui je suis n'a que peu d'importance dans ce monde. Dans l'autre nous ne nous connaissons pas encore, mais appelle-moi Enzo.
̶               Quoi ?
̶               Je suis un lycan. Mais oublie le concept des deux mondes pour l'instant ? Ce lieu n'est pas la réalité.
̶               Et l'autre le serait ?
̶               Je t'ai dit d'oublier ce concept pour le moment, mais tu es têtu. Certaines choses ne changent pas. Ceci est une réalité parallèle, un rêve.
̶               Mais si dans votre "réalité" on ne se connait pas encore, comment se fait-il qu'ici nous puissions nous rencontrer.
̶               Euhm, eh bien c'est une sorte de précepte de physique quantique, ou un truc dans le genre.
̶               ???
̶               Tu m'avais parlé du livre Dune, pour m'expliquer. Livre que je ne connaissais que partiellement, mais que tu adorais…
̶               Oui une saga géniale.
̶               Je me lançais dans une discussion presque absurde, vu le contexte…
̶               Un personnage, Paul, si mes souvenirs sont bons, pouvait être à plusieurs endroits à la fois, à différentes époques…
̶               Vous voulez dire que vous seriez comme le Kwisatz Haderach ?
̶               Non, mais le "rêve" est un monde qui permet ceci. Divers éléments de diverses époques passés et futurs peuvent se rencontrer. Le seul hic c'est qu'au réveil on ne peut se souvenir que des éléments du passé, une occultation du cerveau, car in peut comprendre certaines choses de la relativité temporelle. Sauf dans certains cas rares. Mais là, je ne saurais t'en dire plus. Tu ne me l'as jamais expliqué.
̶               Donc vous n'êtes pas vraiment là en fait ?
̶               Non, je suis une projection astrale temporelle, mais qui peut interagir dans cet environnement.
̶               Si vous le dites. Mais, où on est là ?
̶               La véritable question est : quand sommes-nous ? Et la réponse est 2002, mais ton véritable toi, ton corps se situe en 2011. (Il leva sa main pour m'empêcher de l'interrompre.) Tu es prisonnier de ton esprit, quelque chose a pris ta place, mais si tout ce passe bien, tu retrouveras ton époque aujourd'hui.
̶               Qu'est-ce qui a pris le contrôle ?
̶               Je ne sais pas non plus. Il y a des choses que tu préfères garder pour toi.
̶               Ça veut dire que je m'en suis sorti si j'ai fait votre connaissance ?
̶               Oui, mais dans cet "univers" Tout ne se reproduit pas à l'exact identique.
̶               Donc si je fais quelque chose qui risque de modifier votre espace-temps, vous ne seriez plus là, si c'est le cas, je comprendrais alors que j'ai modifié un truc dans le mauvais sens et que je pourrais jouer pour retrouver l'effet inverse.
̶               Oui et non, chaque action entraîne une réaction. Chaque levier selon le moment où on l'active peut donner un effet différent.
̶                Rien de simple, donc. Mais que dois-je chercher "ici" ?
̶                Leur tanière, mais ce n'est pas ici et de ce sommet tu ne verras rien.
̶                Alors où est-ce ?
̶                Viens, suis-moi, je vais te guider, je te dois bien cela, enfin si tu ne m'oublies pas. Je vais devoir muter pour trouver, n'est crainte.
̶                Attendez, pourquoi ils ont enlevé des enfants ?
̶                Le pourquoi eux l'on fait n'a que peux d'importance dans ce monde. Tout est immatériel, c'est une projection de ton esprit. Mais une chose est sûr, ces évènements n'ont jamais eu lieu. En fait, c'est ton cerveau qui a créé ça de toutes pièces pour attirer ton attention, peut-être avec une aide extérieure…
̶                 Jin, soufflais-je.
̶                Qui ?
̶                Euh non, oubliez ça ! Allons-y.

 


Je le vis alors se transformer, ses traits se crispèrent, la douleur. Son corps se cambra, il retira son T-shirt et son pantalon et me les jeta. Ses membres s'allongèrent, il prit du volume, son corps presque à nu se couvrit d'une toison ocre aux reflets roux. Il avait repris son apparence entre l'homme et le loup, de notre première rencontre.

"Garde ses vêtements, ça m'évitera d'avoir à en voler d'autres" me lança-t-il.

Il attendit que je les mette dans mon sac à dos, qui pour une fois n'était pas plein à craquer, et il partit à la course, cascadant dans les cailloux avec grâce et habilité. Je tentais de faire de même, mais je ne parvins pas à faire preuve d'autant d'agilité et au bout de quelques mètres, à l'aide de gravats non stabilisés, me retrouvais sur les fesses.

La descente fut plus rapide que la montée. À peine arrivé sur le chemin, Enzo partit en direction de l'Est, de là d'où je venais. Je commençais à me dire que je mettais vraiment bien planté.

Il allait vite, trop vite, je en le voyais presque plus? Il courrait comme un chien fou. Pourquoi allait-il si vite ? Il savait que ses dons lui permettaient d'aller plus vite qu'un simple humain. Toutefois, je m'efforçais d'accélérer encore l'allure, faisant fi des deux points de côté qui me cinglaient le ventre.


Au bout d'un moment, il s'arrêta pour regarder en arrière, et je le vis rebrousser chemin. Je lui fis signe d'attendre que j'arrivasse, et il s'arrêta. Lorsque je fus à son niveau, je ne pus m'empêcher de lui demander : "Enzo, pourquoi allez-vous si vite ? Je ne peux pas courir aussi vite. Je ne cours que sur 2 membres…
̶                Personne ne t'empêche d'en utiliser plus, me glissa-t-il avec force et sourire.
̶               AHAH… j'irais moins vite encore. Et pendant que j'y suis, comment s'est-on rencontré ?
̶               Euh, eh bien, tu n'as pas d'idée ? Aucun souvenir de qui tu es ?
̶               Je fis non de la tête.
̶               Ça confirme donc ce que je pensais. C'est toi qui m'as fait cadeau de la morsure.
̶               La morsure ?
̶               Tu es un lycan, comme moi et je fais partie de ta meute.
̶               Moi, un lycan ? C'est impossible, je le saurais si…
̶               Non, c'est un des aspects occultés dans ce monde. Ce qui te contrôle ne veut pas que t'en rappelles. Ni de l'existence du surnaturel d'ailleurs. Mais ton esprit lutte, d'où l'apparition des vampires, le loup-garou qui t'a effleuré à la soirée… Ton corps doit subir des agressions extérieures qui font que le contrôle n'est pas stable. C'est ce qui permet aussi que je puisse te parler presque librement ici. Mais ne traînons pas plus ? Tôt ou tard tu auras toutes les réponses aux questions que tu te poses…


Et il repartit, me laissant comme un con. En se retournant, il me lança : "Tu viens !" et je suivis, tant bien que mal. Je crus qu'il allait remonter les rues de la ville avec cette apparence, mais non, après une vague hésitation, il s'engouffra dans le semblant de forêt. Les ronces s'accrochaient à mon jeans, et la boue s'infiltrait dans mes chaussures, rendant ma progression plus glissante et plus difficile encore.

Une odeur particulière vint titiller mes narines, une odeur à la fois âcre et…et soufrée. Je m'arrêtais brusquement. Le terrain noir ! Le feu qui couvait depuis des années sous la terre  provoquait des fumerolles à l'odeur de soufre. Et si c'était là ?



Rares étaient les personnes à venir trainer ici, la zone était dangereuse et les émanations du lieu écœuraient plus qu'autre chose. Pourquoi n'y avais-je pas pensé avant ? me maudis-je, c'était tellement logique.

Enzo s'arrêta et, se retournant vers moi, sa patte devint main et il me fit "chut". Ses poils ocre semblèrent rétrécir tandis qu'ils rentraient dans sa peau. Il reprit forme humain, nu.

̶               Les vêtements s'il te plaît.

Je m'approchais sans bruit, tout en ouvrant mon sac, la fermeture résonna fort bruyamment, pour lui donner ses habits, qu'il enfila prestement.

̶           -    Pourquoi n'êtes vous pas resté en loup ? Vous êtes plus impressionnant !
̶          -     Je ne sais pas combien ils sont en face et je te signale qu'ils sont eux aussi lycan.
̶         -      Ah oui, c'n'est pas faux. Mais euh, ils auraient pu vous prendre pour l'un des leurs et… et ils ne vous auraient pas attaqués.
̶          -     Chacun de nous a une odeur, et ils savent que la mienne n'appartient pas à leur meute.
̶         -      Ok, j'ai encore tout faux. Et vous dites que je suis de votre meute, dans voter monde ?
̶          -     Oui, mais les choses sont différentes, rien ne contrôle ton esprit. Tu sais donc ce qu'il y a à savoir.
̶         -      Enzo, ils ne sont peut-être pas seuls.
̶          -     C'est-à-dire ?
̶          -     Il y à peut-être une femme, qui pourrait être dangereuse, une certaine, Marie-Lou.

Il commença à rigoler, avant de se retenir, car il faisait plus de bruit qu'il ne le voulait.

̶               Marie-Lou ? Tu te souviens d'elle ? C'est formidable.
̶               Formidable ? Je vous dis qu'elle est peut-être dangereuse, et vous me dites 'formidable' ? Vous pouvez m'expliquer ?
̶               Marie-Lou ne pourra jamais être avec eux. Vous êtes certes en froid, mais jamais, au grand jamais elle ne pourrait s'en prendre à toi. Vous vous aimez. Mais comment est-ce possible que tu t'en rappelles ?
̶               On s'aime ? Vous êtes sûr ? Je me suis réveillé à l'hôpital, et j'ai prononcé son nom avec rage. Tout ce qui se passe depuis un moment me rapporte à ce prénom.
̶               Je peux comprendre tes doutes, mais crois-moi, il n'en est rien. Je ne suis même pas sûr qu'elle puisse apparaître dans cette 'réalité'. Pour toi, elle est intimement lié à ton état de lycan.

Il releva brusquement la tête et celle-ci se mit à pivoter à droite, à gauche, en s'arrêtant par à-coups, ce qui m'intima le silence. Enzo fronçait les sourcils, comme pour se concentrer.

̶               Vous avez entendu quelque chose ? demandais-je à voix basse.
̶               Les enfants, je crois. Mais je n'entends pas leurs geôliers.
̶               C'est bon signe ou pas ?
̶               A ton avis ?
̶               Mon côté négatif dirait que non, ça peut vouloir dire qu'ils savent qu'on est là et qu'ils nous tendent un piège.
̶               Exact, tu vois quand tu veux !
̶               On fait quoi alors ?
̶               On y va !
̶               Mais…
̶               Savoir qu'il y à un piège, n'empêche pas de tomber dans celui-ci ou un autre. Mais on redoublera de vigilance.
Il se mit en marche, accroupi, on aurait dit un militaire, il en reprenait d'ailleurs leur gestuelle. Nous traversâmes un petit bosquet et débouchâmes sur un terrain de sport en contrebas, presque entièrement noir à l'exception des cages de buts sans filet et des lignes d'athlétisme. Un gradin abrité nous tournait le dos, mais duquel s'échappaient des pleurs d'enfants. De notre position, nous ne pouvions les voir, nous étions presque allongés sur le sol, mais notre champ de vision était tout de même assez étendu. Toutefois, les kidnappeurs n'étaient pas là, ou du moins, ils se cachaient. Enzo, le nez en l'air, humait ce dernier, à leur recherche.
̶               Je ne les sens pas, me dit-il.
̶               Je vais chercher els enfants et on s'en va !
̶               Non ! Je ne le sens pas parce que l'odeur de soufre les dissimule. Ça ne veut pas dire qu'ils ne sont pas là !
̶               Et s'ils ne se montrent pas, on attend ici indéfiniment ?
̶               Non, mais…
̶               Mais quoi ? M'emportais-je. C'est quoi le point faible des lycans ?
̶               Mis à part l'argent, être doté d'une force surhumaine...
̶               Okay, je n'y l'un, ni l'autre, mais je ne resterais pas ici.

Je me relevais et parti à la course vers les tribunes en guettant dans toutes les directions à la recherche d'un signe, mais je ne vis rien.

"Fred, non ! Reviens ici !" me lança Enzo à mi-voix. Mais je ne voulais pas l'écouter. J'avançais, accroupi, trouvant mon équilibre avec mes mains, mon cœur tambourinait à mes oreilles. Mes dents commencèrent à claquer. Je pris appui sur le renfort du gradin pour ne pas choir lamentablement dans la pente. J'en profitais pour jeter un œil  sur les tribunes, personne. Mais où étaient retenus les enfants ? Plantant les talons dans le sol friable, je me laissais glisser sur le terrain. Toujours aucun loup-garou en vue.

Soudain, un grognement, au-dessus de moi, le temps de relever la tête, je vis me fondre dessus, une masse sombre, où des poils se découpaient en contre-jour.

Je fis un pas de côté, lorsque je perçus la voix d'Enzo "Fred, attention !" il s'élança dans les airs, ses vêtements explosèrent en lambeaux et il percuta en plein vol l'autre lycan. Je repartis me protéger contre les gradins et m'assurer que mon 'sauveur' s'en sortait, mais un bras d'enfant sortit de sous les assises en béton, ce qui me 'scotcha'. Ils sont en dessous.

J'allais en faire la remarque à mon acolyte, mais il avait maintenant deux loups-garous qui le bloquaient au sol. Je devais trouver un moyen de l'aider, mais comment… Je regardais tout autour, mais rien, je refis un tour d'horizon et c'est là que j'aperçu, à moins de deux mètres de moi trois javelots fichés dans le sable. J'aurais pourtant juré qu'ils n'y étaient pas l'instant d'avant.


̶            -   Je suis là pour vous aider, les enfants, vous n'avez rien ?
̶            -   Les bêtes nous ont mordues, dit l'un d'eux avant d'éclater en sanglots.
̶            -   Ce… ce n'est rien, je reviens vite.

En essayant d'être le plus discret possible, je me jetais sur les javelots et me saisi d'un. J'avais toujours été nul en sport, mais là, je ne me posais pas la question, la vie d'un 'ami' était en jeu, je lui en devais une, voire plus, pour m'avoir sauvé. Je soupesais rapidement l'arme et la projetais en direction des loups-garous. Pourvu que je ne blesse pas Enzo…

Je vis le bâton évoluer au ralenti, la tige semblait se déformer, onduler dans les airs. Et le métal fendit la chair dans une explosion vermillon. Un rugissement de douleur qui ne dura qu'un bref instant. Le javelot avait touché le lycan au niveau du cou, mais pas assez pour l'éliminer, je ne l'avais que blessé. Avec la douleur, le blessé relâcha son étreinte d'un bras sur Enzo, qui de sa main, maintenant libre, enfonça ses griffes dans la déchirure que j'avais pu créer. Et, d'un coup aussi violent que bref, lui arracha la gorge. 'Yes' murmurais-je pour moi-même, comme une petite victoire afin de me donner du courage. Mais le second lycan avait encore le dessus sur Enzo. Ce dernier reçut un violent crochet du droit, de la bave ensanglantée jaillit en écume de sa gueule. Son ennemi lui décolla le buste du sol et l'envoya rebondir violemment au même endroit ; nouvelle explosion de sang. La créature détourna soudain sa tête vers moi et ses lèvres animales se retroussèrent sur ses crocs en une forme de sourire sardonique. Je déglutis bruyamment, "merde". Il me regardait, mais ne lâchait pas mon compagnon d'infortune. Cinq. "Double merde". Ne pas détourner le regard, faire comme si je ne comprenais rien. Quatre. Je sais un deuxième javelot, retourner la pointe vers le haut. Sentir la présence qui se rapproche. Trois. Du coin de l'œil, noter le mouvement d'une ombre. Deux. Défier du regard celui qui me fait face. Trembler, mais discrètement. Un. Mettre un pied devant. Zero. S'accroupir brusquement en abaissant de 25° le javelot. Pousser vers l'arrière. Choc. Éclaboussures chaudes, s'exploser la tête sur le sol. Se redresser doucement, tousser, cracher un peu de bile; Eurk. Se retourner et constater que le loup-garou qui venait sur moi par-derrière était bien mort, il reprenait même sa forme humaine.


Le monstre saisi Enzo, toujours à demi conscient et le balança loin derrière lui avant de venir sur moi. Réfléchir en un dixième de seconde. Il restait un javelot, mais ça ne marcherait pas, il avait vu mes deux actions. Libérer un des enfants et le mettre sur sa route, il pourrait le bouffer et moi être libre, un instant de plus. Non même si c'est une sorte de rêve, je ne peux pas faire ça. Alors quoi ? Courir, oui, mais je ne suis pas assez rapide. Essayer quand même. Courir… Courir, un pied au sol, deux pieds en l'air. Courir comme si c'était le dernier geste du monde. Courir plus vite encore, prendre de la vitesse, comme pour essayer de s'envoler. Courir, question de survie, ou pour repousser l'inévitable. Courir, mais ne rien espérer.

Lacération du dos, souffle coupé. Hurler, mais sans pouvoir. Un dernier essai, une ultime folie. Se retourner et saisir à la gorge mon poursuivant. Il s'arrête net, non essoufflé, calme. Il sourit, rit, se moquant de moi. Sa gueule se déforme, et prend visage humain, dont les traits semblent me dire quelque chose. Un prénom se forme dans ma tête…Wi… William.

̶               Que crois-tu pouvoir faire petit homme ?

 

*

 

̶               Où croyais-tu pouvoir aller ?
̶               Vous ne pouvez vous débarrasser de moi !
̶               Qui es-tu ? Tu n'es pas Fred, c'est certain.
̶               Et que crois-tu pouvoir me faire espèce de pute ?

 

*

Céphalées.


̶               Te tuer, grimaçais-je.
̶               Toi ? Avec tes petites mains ? Laisse-moi rire, vraiment ?
̶               Si je n'ai aucune chance alors pourquoi ne m'as-tu pas encore tué ?
̶               N'ai-je donc pas le droit de me détendre ?
̶               SI MAIS TU MEURES !!
̶               Enzo !

 

Une main griffue sortie ensanglantée de l'abdomen du lycan, elle enserrait quelque chose de palpitant ; son cœur.

Alors qu'Enzo retirait son bras, William, si c'était bien son nom, s'écroula à nos pieds.

̶              - Enzo, je suis si content que tu sois là, dis-je en l'enserrant, avant de me reculer.
̶              - Content que tu me tutoies. Mais qu'est-ce qui t'a pris d'agir ainsi ?
̶              - Une intuition, l'instinct, appelle ça comme tu veux, je ne sais pas.
̶              - Je suis heureux que tu t'en sois sorti.
̶              -  Et moi pour toi…
̶            -    Fred, il faut que tu t'en ailes par là-bas, le plus vite possible.
̶            -    Mais et toi ? et les enfants ?
̶            -   Je vais les libérer ne t'en fais pas, je leur dirai quoi faire, mais dépêche-toi, il y a d'autres lycans qui arrivent. Ils me prendront en chasse.
̶             -  Mais, et …
̶             -  Pas d'adieux déchirants, nous ne sommes pas dans le monde réel, mais sauve-toi, il est temps d'en sortir. Cours ! Run boy Run !

 

Je me mis à courir à nouveau dans la direction qu'il m'indiquait. Je l'entendis me hurler "Fred, ne m'oublies pas le moment venu, on se revoit bientôt". Je continuais mon chemin sans me retourner, le faire s'était peut-être pas partir, mais je le devais. Le cœur aux oreilles, je forçais l'allure, finissant de traverser le terrain noir, j'atterri dans les broussailles. Il n'y avait plus de bruit, le poids de l'angoisse commençait à s'alléger.


Les ronces empilaient dans un enchevêtrement s'alliaient aux branches, pour m'accrocher, me retenir, me griffer, pourfendant ma chair. Je ne sais pourquoi, mais j'eu la sensation qu'un danger imminent arrivait. Je voulais encore accélérer, mais mon corps refusait, je n'avais pas la condition. Plus je m'enfonçais dans la forêt, plus il faisait sombre et plus l'envie de fuir, de sortir d'ici grandissait exponentiellement.

Le conte du chaperon rouge et son grand méchant loup, associé à d'autres peurs enfantines assaillaient mon esprit. J'essayais de tendre l'oreille pour percevoir Enzo, mais rien, la forêt absorbait les bruits. Au loin "la lumière au bout du tunnel" ou plutôt l'orée du bois me rassérénait, nouvelle injection d'adrénaline qui me porta jusque-là. La lumière était si vive que je ne voyais rien d'autre que l'éclat luminescent. Y'avait-il seulement autre chose au-delà ? L'hésitation de franchir le pas disparut subitement à l'instant même où des grognements animaux.


Fermant les yeux, je fis quelques pas dans le vide lumineux. En les ouvrant, je me découvris devant la bibliothèque municipale, me retournant, la forêt n'était plus là. Rien ne collait, l'illusion semblait complètement défaillante, j'en prenais conscience. Toutefois, je n'allais pas me plaindre, cela me donnait quelques minutes d'avance. Le bruit d'une porte qui se ferme attira mon attention. Soudain, je découvris ma mère, qui ressortait un sac plein de livres à la main. Elle me regardait, mais sans me voir. Je l'appelais, mais là encore, aucune réaction en retour. Je me mis sur son chemin, elle m'évita, sans mot ni regard. Mais que se passait-il ? Elle prit place dans la voiture. Ignorant si cela était réellement prudent, ou non, je pris place du coté passager. Elle boucla sa ceinture et démarra comme un automate sans âme. A la première intersection, je compris qu'elle ne prenait pas la direction de la maison. Mais où allait-elle ?

La sensation de danger que je ressentais atteignait à présent son apogée. Tout semblait irréel, il n'y avait aucune cohérence. Pourquoi ma mère, qui jusqu'ici agissait comme normale, agissait maintenant comme un robot non doué de parole ? Le fait de connaître la vérité altérait-il notre perception ? Ma mère arrêta enfin la voiture sur un terrain vague. Que se passait-il ?

Un choc, un premier sursaut. Le bruit des amortisseurs qui subissent des tensions imprévues. Grondements sourds. Nouveau craquement, le bitume se fendille. Odeur de soufre qui apparait soudain. Des fumerolles, des jets de vapeur qui explosent du sol. Sensation de chaleur. Mais non, ce n'était pas une sensation, la température grimpe. Un long hurlement de loup se fit entendre. Des dizaines, des centaines d'oiseaux semblèrent décamper du lieu. "Maman, ROULE !" hurlais-je, mais c'est comme si je parlais à un mur.


Je défis sa ceinture, j'ouvris ma portière… et soudain, la fin du monde. La bande de bitume aussi large que la voiture, sur laquelle celle-ci se trouvait, s'enfonça brutalement. Ma portière fut déchirée, le rétro coté conducteur fut arraché. La fumée commençait à entrer dans l'habitacle ; panique grandissante. Sortir… oui, mais comment… Le pare-brise. Je commençais à donner des coups de pieds, mais le verre était résistant.

*
̶             -  Cette fois, tu ne t'échapperas pas !
̶              - Cela reste encore à prouver…
*

J'étais exténué, je frappais de toutes mes forces, mais le verre résistait encore et toujours… Pourquoi dans les films, ça fonctionne toujours au premier coup ? De nouveaux hurlements, je sentais que ma mort approchait à grands, très grands pas.


Énergie du désespoir ou pas,  j'entendis un petit crissement venant de sous mes pieds, et une fissure se dessina sur le pare-brise, c'était beau. Lueur d'espoir.

*
̶               Dis-moi qui tu es !
̶               Jamais, je ne le libèrerais, vous ne pouvez rien. Ce monde est mien désormais.
̶               Mais moi, SI. Et je vais t'y contraindre, qui que tu sois !

Flash

*

En un point des dizaines de fissures se dessinaient s'entremêlaient, toile d'araignée en fil de verre. Le pare-brise partit en éclats cubiques, les sons semblaient s'allonger, s'effacer. Une lumière bleutée apparut au travers d'un voile rougeâtre. Une douce voix féminine sembla m'appeler de loin. "Fred, Fred…". Elle murmurait de loin…

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