dimanche 10 février 2013

Croc-Circle Saison 4 Part.1




Partout, le monde part en ruine, tombe en morceau, les gens se foutent de tout.

 Et parmi eux, une poignée seulement sait ce qu'il se passe réellement, on les appelle les "éveillés". Ils sont des célèbres ou des anonymes, mais ceux-là connaissent la vérité. Ils sont les sages, un regard sur chaque chose et ils savent. Ils savent que le monde va mal. Ils savent que le Mal peut prendre beaucoup de formes, de la plus anodine à la plus improbable, mais c'est dans la première qu'il excelle au final, pour passer le plus inaperçu possible. Ils savent que le Mal prend de l'ampleur qu'il grignote chaque parcelle de bon.

Ils savent que la cupidité du monde va l'engloutir… oui ils savent, mais ils ne font rien. Ils ne font rien parce que leur sagesse leur dicte qu'on ne peut contraindre le monde à ouvrir ses yeux. Or, ils ont tort, ils ont affreusement tort. Lorsque l'apocalypse arrivera que diront-ils pour leur défense ?? 

Qu'ils n'en avaient pas la force ? Que leur voix ne pourrait pas couvrir le tumulte ?

 En vérité, ils sont des lâches ; ils sont ce qu'ils rejettent. Ils sont de simples spectateurs qui ont peur de perdre ce qu'ils ont. Ils préfèrent voir le monde qui s'éteint plutôt que de tenter de ranimer les braises de ce qui fut jadis un monde imparfait, mais qui aurait pu être sauvé.

En fait, ils ne veulent croire aux nouvelles générations. Ils les considèrent comme leurs parents et leurs parents avant eux. Pour ces "sages", tous sont coupables. Mais c'est faux. Les nouvelles générations ne peuvent s'en sortirent si on ne les lance pas, si on ne les aide pas… Ils resteront dans le monde pourri dans lequel ils ont été propulsés, éjectés.

Il suffirait pourtant de leur insuffler une simple étincelle et la machine se mettrait en marche, prendrait de l'essor, actionnant le levier du soufflet et… Et les braises rougeoieront de nouveau, et le feu brûlerait derechef, dans le monde…

Il y a des combats dans ce monde qui conservent quelques braises au chaud. Ils se jouent là, sous vos yeux, sans que vous n'en compreniez la portée qu'ils ont…

 Il y en a….

 

                                                    … et celui-ci en est un…









Extrait du journal La Capitale – juin 2011

"Huit morts, c'est le bilan définitif du drame survenu sur les quais de Scène à hauteur du quartier du Marais, il y a une semaine;
En effet, il était environ 16h30 lorsque les témoins ont entendu les premiers coups de feu. Le bilan de ce bain de sang fait état de huit morts et une dizaine de blessés.
Les enquêteurs continuent leurs investigations, mais la thèse la plus probable se tourne vers un règlement de compte entre bandes rivales. Nous pouvons toutefois nous interroger quant à la cause, est-ce la drogue ? Même si aucune victime n'en portait sur soi, les policiers ont cependant découvert une fiole contenant une substance étrange […]
L'insécurité règne de plus ne plus dans la capitale, ce qui, en ce début de période estivale est mauvais pour le tourisme. C'est pourquoi la mairie a décidé d'augmenter sa publicité  et ses actions  de communications pour ne pas perdre de touristes. Mais nous y reviendrons en page 3.

-- La Capitale --



Extrait  du Journal de l'Etrange – juillet 2011. 

Il y a deux semaines, une fusillade a eu lieu en plein cœur de Paris et qui a causé le décès de huit personnes. Jusque-là rien qui ne pourrait nous intéresser face à l'absurdité du monde actuel.

Toutefois, les journalistes de l'Etrange ont mené l'enquête pour vous, suite aux courriels que nous avons reçus.

En effet, certains Parisiens et autres touristes auraient aperçu des créatures étranges qui auraient la forme de loups, mais en beaucoup plus imposants. Certains parlent d'êtres mi-hommes mi-loups, certains même ont osé prononcer le nom de loups-garous… Il n'en fallait guère plus pour que nos équipes creusent un peu.

Il ne fut pas rare non plus, en tendant l'oreille sur des conversations, d'entendre que les habitants prétendent avoir entendu des hurlements de chiens, peut-être de loups, dignes des films du genre.

Une source proche de la police, en charge du dossier, nous a révélé qu'une fiole a été retrouvée à côté d'une victime. Mais le plus étonnant pourrait nous confirmer la thèse des garous, puisqu'elle contiendrait une substance dérivée de l'argent.

[…] Nous vous laissons seuls juges de cette affaire et nous attendons le fin mot de l'investigation de la police, s'il arrive un jour.

             - Le Journal de l'Etrange –



L'Etre assoiffé de sang gronde, tapis dans l'ombre, il observe, attend le moment propice pour sortir.

 

Il attend…

Il attend d'avoir emmagasiné assez de force pour avaler la lumière et la retourner contre ceux qui la vénéraient et craignaient l'obscurité.

La vengeance est un long poison qui ronge. La substance s'altèr(n)e au rythme immuable des battements de cœur.

Les responsabilités devront être prises lorsque le rouge s'élèvera face à lui, à lui de vaincre ou de succomber…

Il existe dans la mythologie nordique une légende qui dit qu'après que Skol ait avalé le Soleil, les ténèbres règneraient et que dans celles-ci, les créatures de la nuit déferleraient sur le monde…

Il est de notoriété publique qu'en chaque chose, son exact opposé existe. En tout mal il y a un Bien. En tout bien il y a un Mal qui réside. 

La nature secrète de chacun ressurgi inévitablement, même si on l'enterre au plus profond de l'être.

A la fin, il n'y aura qu'un juge pour arbitrer vos actions…

Un juge, une plutôt, Elle, la Bienfaitrice… Mère Nature.

 

Le soleil s’obscurcira,

La terre sombrera dans la mer,

Les étoiles étincelantes

S’évanouissent dans le ciel.

La fumée tourbillonna,

les flammes ronfleront,

un brasier ardent

s’élèvera jusqu’au ciel.


Un cœur se condamnera pour avoir osé espérer, pour avoir osé trop aimer

 

**


Episode 2

 

Nous étions bien. Le bien fou que cela faisait d'être ainsi entouré de gens que l'on aime ; de décompresser, de respirer librement. Sentir les vagues diaphanes de chaleur, entendre murmurer les flots contre les coques des bateaux-mouches ; percevoir les cris de joie des enfants qui s'amusent, s'arrosent pour se rafraîchir, n'ayant aucune conscience qu'en ce monde, un vrai combat contre le gâchis de cette denrée existe… Ahh qu'est-ce qu'il me semble loin ce temps de l'insouciance, de la candeur enfantine… J'aimerai être enfant à nouveau.

 

Puis parvinrent à mes oreilles les pleurs d'une petite fille, réclamant sa maman ; froissement de tissus qui se collent, qui glissent l'un sur l'autre ; les bras de la maman qui enserrent la petite… Époque où l'on croit que les bras de maman ou de papa sont les plus grands remparts contre le monde ; qu'ils forment le cocon que rien ni personne ne pourra briser et nous faire du mal…

         - soupirs -

 

Sentir le contact doux et chaud de la main de l'autre, de l'être aimé dans la sienne, sentir y battre son cœur là, juste là, entre le pouce et l'index, y sentir une force immatérielle y couler, nous envahir, nous rendre plus fort… Se dire qu'à tous les deux, rien n'est impossible.

Échanger un regard doux et complice, se dire qu'on ressent et pense la même chose, là à cet instant précis. Se dire que rien ne pourrait venir bouleverser cela.

Se le dire et regretter immédiatement d'avoir osé y penser, se l'avouer…

On a envie, à cet instant de toucher du bois, de jeter du sel par-dessus son épaule, avoir sur soit une patte de lapin, un trèfle à quatre feuilles ou un gri-gri ou que sais-je encore. Parce qu'à cet instant on comprend qu'avoir osé penser positif, le malheur arrive.

 

Je ne voulais pas laisser paraître mon trouble, je voulais demander pardon, me dire que ma fascination du pire, mon négativisme devait cesser. Je voulais espérer, profiter, aimer.

Je caressai de mon pouce le dessus de la main de Marie-Lou, m'assurer de sa présence.

 

Et soudain, le téléphone sonna, je décrochai… Le grand vide… Resserrer la prise… Se mettre à courir.

Sentir l'air se modifier. Vrombissement de mon cœur. Entendre la gâchette s'articuler, la balle partir, perforer le corps, voir un homme s'écrouler.

Un mauvais pressentiment, le corps de Damian qui tombe au sol, du sang qui s'écoule de son corps ; entendre les battements de son cœur s'accélérer, échouer parfois, pomper dans le vide.

Marie-Lou se pencha sur son frère ; se surprendre à murmurer à ce dernier "Ne lâche pas maintenant mon grand !" Niko qui le prend par le bras pour le relever et le trainer.

 

Partout autour, la folie, la panique, les gens qui courent dans tous les sens. Les rires des enfants se sont tus pour faire place aux cris, aux pleurs, aux appels paniqués de leurs parents. Le chaos, ce devait être ça.

Pourquoi avais-je espéré ? J'étais une guigne ambulante. "Tu ne dois pas penser cela, ta meute à besoin de toi !" L'Autre ressurgissait lorsqu'il le fallait, me redonnant la force nécessaire. Oui, je devais agir, sauver les gens que j'aimais.

 

La foule était compacte, comme un banc de poissons paniqué, les gens s'agglutinaient tout en avançant, serrant contre eux, ce(ux) qu'ils avaient de plus cher.

 

Et brusquement, tout se ralenti, les voix, les bruits se réduisirent jusqu'au silence complet. Un silence de mort. Toutes les choses perdirent leurs couleurs. J'étais plongé dans un monde en noir et blanc. Le temps de tourner la tête et recevoir un jet rubicond sur le visage. L'épaule droite de Niko vola en éclats, projetant un liquide carmin tout autour de lui. Voir son buste propulsé en avant, sa tête se redresser en signe de douleur, sa bouche s'ouvrir pour hurler. Ce qu'il fit, sa voix me parvint clairement en même temps que les couleurs.

 

Se retrouver au sol submergés par la marée humaine.

Sans prendre la peine de réfléchir si l'on nous voyait ou pas, je me mordis l'avant-bras, déchirant les chairs de mes crocs et forçai mon ami à boire mon sang. Si la balle qui l'avait touchée était composée d'argent, je ne pouvais le laisser mourir. Lui m'avait sauvé la vie peu de temps avant en agissant de la sorte.

"Assez !" me hurla une voix, et je retirai mon bras.

Une goutte d'eau explosa à la surface de ma blessure qui commençait déjà à se refermer et me brûla légèrement.

Je levais les yeux au ciel, qui l'instant d'avant était beau et azuré, était à présent sombre et menaçant. Des éclairs commencèrent à apparaître çà et là. La pluie se mit à tomber en trombes, nous empêchant de voir à plus de trois mètres.

 

Je ne sais, si c'était le fait d'avoir donné de mon sang, ou si ça venait de la colère qui m'envahissait, mais j'avais une irrépressible envie de manger, de m'abreuver. Les muscles de mon dos se contractèrent, prirent de l'ampleur, un bruit de vêtements déchirés se fit entendre. "En avant !" hurlais-je d'une voix plus rauque que je ne l'aurais voulu.

Marie-Lou allait protester, mais en me voyant, elle n'en fit rien et je découvris dans ses pupilles, la peur.

J'arrachais mon blouson, qui était réduit en charpie, mon T-shirt large avait résisté, et forçai mon ami à se remettre sur pieds, lorsque ce fut fait, j'aidai Marie-Lou à relever son frère, et nous nous mîmes à avancer de nouveau, bousculant et jouant des coudes avec la foule. Des coups de feu résonnèrent encore, ils devaient sans doute tirer à l'aveuglette.

À l'angle d'un bâtiment, je déposai Damian et Niko en disant à Marie-Lou de les 'protéger'. Je commençais à partir lorsque cette dernière me retint par le bras et me forçant à me retourner, m'embrassa. Ça ressemblait à un adieu, je détestais cela. Me décrochant de ses lèvres si douces au goût de miel, je repartis en sens inverse.

 

Je ne sais pas si c'était le Carnet ou bien la chance qui avait fait que je ne sois pas blessé, mais je comptais faire de nouveau appel à ça pendant que je traquais mes proies qui nous avaient pris pour cibles.

 

Ils jouaient encore et toujours, faisant tonner leurs armes sur la ville. A chaque tir, chaque détonation, la réponse du ciel ne se faisait pas attendre ; la déflagration céleste qui s'en suivait était plus forte encore que la précédente. La pluie redoubla d'intensité, devenant piquante avec agrémentation de petits grêlons.

La cavalcade céleste tambourinait, faisait vibrer l'air et le sol. Je mis un moment à m'en rendre compte, mais les grondements de l'orage semblaient être réglés comme du papier à musique, suivaient un rythme et quel rythme… c'était un rythme cardiaque réglé sur une fréquence de peur. Je stoppai net ma course, percutant enfin la folie de tout ça ; Marie-Lou. Son pouvoir étrange de Clair de Lune, le temps se calquait sur ses émotions, sur ce qu'elle ressentait. En ce moment c'était la peur pour son frère, pour elle, pour moi aussi, peut-être.

Marie-Lou, si seulement je pouvais être auprès de toi et là en même temps, je te prendrais dans mes bras et te dirais que tout irait bien pour te rassurer.

 

Inconsciemment mon ouïe fit marche arrière, remonta le chemin inverse et se dirigea vers elle. C'était comme si je redescendais les marches sentant, écoutant les gouttes d'eau s'écraser au sol, le vent jouait à siffler en passant par de petits interstices et enfin un souffle, une respiration haletante, des battements de cœurs qui trouvaient des échos dans le ciel, des larmes aussi, puis la voix de Niko qui dit que l'ambulance arrivait.

Poursuivre plus loin la visite sonore et entendre les deux tons.

Ravaler tout ça, se sentir rassuré et se remettre à courir plus vite, accélérer encore avec un seul objectif : la vengeance.

Je me voyais déjà arriver au-dessus d'eux par un toit de building ou d'immeuble plus haut que le leur. Leur sauter dessus, les surprendre,  les prendre à la gorge et entamer leur chair de mes crocs, sentir leur sang, ce liquide au goût métallique couler dans ma gueule.

 

Mais ça serait compliqué, la pluie lavait leur odeur, le froid des gouttes d'eau, contrastant avec la chaleur emmagasinée des sols, faisait ressortir les miasmes d'hydrocarbures. Je perdais inexorablement leur trace. Ils avaient également stoppé leurs tirs, j'essayais donc de les géolocaliser avec ma mémoire auditive…

J'étais proche, je le savais, sans doute juste en dessous. Je devais grimper et la chance me souriait ; un lierre et d'autres plantes couraient le long d'un mur végétal. Je remerciais les syndicats d'urbanisme qui insistaient à faire revenir la nature dans les villes.

Après quelques essais de résistance et de menus efforts pour escalader sans tomber de ces plantes rendues glissantes par la pluie, je franchissais le parapet de cette tour ; personne. J'humais une nouvelle fois, dans le vide.

Sans que je ne puisse rien contrôler, un long feulement se muant en un hurlement rauque sortit de ma gorge et se déploya dans les airs.

Erreur sommaire. Règle numéro 1 : lorsque tu es proie, ne jamais signaler ta position.

Règle numéro 1 : Échec.

 

La déflagration prit du retard et n'intervint qu'au moment de l'impact. La douleur me mit à terre, mais la colère me releva. J'avais le mollet en sang, mais je sentais déjà mes chairs se confondre à nouveau – simple balle – ce ne pouvait être les chasseurs.

"Bougez pas ! Quoi que vous soyez, restez où vous êtes !" L'ordre était aboyé, un léger bégaiement sur le "quoi que' me fit penser qu'il n'avait pas l'habitude de cette formulation, sans doute un flic.

Une autre balle venant de la direction opposée me frôla et percuta le mur proche de ce qui semblait être un policier. La réponse de ce dernier ne tarda pas. Il ouvrit à nouveau le feu, sur moi, pensant que j'étais l'auteur du projectile qui avait attenté à sa vie. J'essayais d'éviter au mieux les balles, mais l'air ne vibrait pas comme d'habitude, les déflagrations avaient du retard. Chaque impact me causait plus de douleur que le précédent. Au septième tir je perdais une quantité affolante de sang. Je me sentais partir, ma conscience m'abandonnait. Je sentis mes ongles devenir griffes, ma mâchoire craquer pour s'agrandir, mes dents s'allonger à en devenir crocs… La Soif se fit vraiment sentir pour la toute première fois.

La Soif c'est lorsque l'on sait que l'on va mourir, mais qu'il reste une chance, une unique chance de s'en remettre… boire du sang.

Mon corps se mouvait de son propre chef, je voyais comme au travers d'un masque, mais de loin, comme un nuage passait entre les yeux et le déguisement ; impression étrange. Mon corps tomba sur ses pattes avant, cahot. Il se déplaçait par bonds successifs et à une vitesse hallucinante, il se retrouvait devant le flic. D'un coup de griffe il fit voler l'arme et la main qui tenait ce dernier. Dans la pénombre le sang semblait scintiller. L'homme hurlait de douleur et j'en ressentais un certain contentement œil pour œil, dent pour dent… Pensée délectable. Grognement rauque. L'homme reprit le contrôle de lui-même et se mit à fuir en enserrant son avant-bras dégoulinant. Il lapait le sang que ce dernier avait perdu ; métallique, gouleyant ; la chasse était ouverte. Il se mit à la poursuite du policier, flairant l'odeur de la peur et celle du sang. Ses pattes étaient rapides, plus que celle du simple humain... en un éclair il égorgea ce dernier et s'abreuva de son sang et se nourrit de ses chairs. Repos.

Un filet de nuages dévoilait une lune gibbeuse descendante. J'étais allongé sur des plaques de ciment frais et humide. Que s'était-il passé ? Était-ce vrai ? Un revers de la main me le confirma, du sang à moitié coagulé était scotché à mes lèvres… Déprime, colère humaine, j'étais un tueur, un assassin… J'avais encore mon t-shirt, je ne m'étais donc pas transformé  et le fluide carmin de ma victime qui maculait mon maillot en était la preuve ; meurtrier. Mais au fond de moi, mon instinct animal me faisait me sentir bien… L'humanité peut-être faible parfois, les Lycans leur sont supérieurs.

Un crissement familier, le bruit de griffes qui glissent sur des pierres. Je les avais retrouvés. Je me mis en chasse, mes pas semblaient flotter au-dessus du sol, je me sentais léger, en pleine forme… Les bruits continuaient, ils m'arrivaient distinctement, j'étais tout proche, j'armai mon bras qui s'équipa de griffes, impulsion de mes jambes. Sourire carnassier au moment de frapper.

Mais à cet instant précis, je découvris qui était en train de grimper. "Fred, non !" J'arrêtai mon geste précipitamment et dans la précipitation je perdis l'équilibre illusoire du vol plané. Chute instable dans le vide, Niko me tendit la main, trop tard, je ne pus la saisir. Mais qu'est-ce qui m'avait pris, pourquoi n'avais-je pu pousser ma concentration au point aisé de reconnaître mon ami, que ça soit sa démarche, sa respiration, plus simple encore son odeur ?

Quoi qu'il en soit, c'était trop tard pour penser à cela, ou trop tôt si je m'en sortais. Je tombais, panique. Mon corps s'éloignait peu à peu de l'immeuble sur lequel j'étais quelques instants plus tôt. Sans que je n'y prenne garde, mon épaule gauche heurta violemment le béton ; vrombissement et éclairs aux yeux, symbolisation de la douleur. Le choc me donna l'impulsion de rotation. Ma main droite se déforma, à s'en changer en crochets. Frapper les griffes au mur, les enfoncer, s'ancrer. La vitesse accroit de manière exponentielle la souffrance ressentie. Sentir se décrocher l'épaule ; sinistre. Continuer de glisser vers le bas à toute allure. Ecouter l'air siffler aux oreilles et les griffes crisser, son pire que la craie sur le tableau noir. Slalomer autant que possible pour éviter les fenêtres et le décrochage…

Sentir l'air se réchauffer à mesure que le sol approche au même rythme que le sang qui s'écoule des plaies se faisant plus nombreuses. Incrustation de cailloux. Les miasmes putrides des hydrocarbures se faisaient de plus en plus écœurants. Divagations de l'esprit, se voir s'écraser au sol, sentir ses os se réduire en bouillie, le bras encore attaché au mur. Saute maintenant ou meurs, saute et deviens puissant, saute et ta force sera accrue… Je ne sais qui me parlait, ça ne ressemblait pas à la voix de l'Autre, ni à quiconque que je puisse avoir croisés dans ma vie. Je décidai de l'écouter cependant, je ne voulais pas finir écrasé.

Je mis toute ma concentration dans un simple geste, en espérant ne pas me louper, j'avais cette impression que je déraillais en ce moment.

J'ai balancé mes pieds contre la paroi en y mettant toute ma volonté pour me décrocher du mur. Mes griffes quittèrent le béton ; apesanteur ; se sentir porté par le vide, pirouette aérienne que vint stopper le contact violant du bitume sous mes pompes. Désorienté, quelque peu groggy par la descente imprévue, je m'étalai sur l'artère noire de la ville. Serrer les dents pour retenir la douleur de ma blessure à l'épaule, qui se rappelait à moi… Souffler.

̶               Niko ? C'est bon !           

Il ne me répondit pas. Lancer son ouïe vers le haut, tenter de l'écouter, sans résultat, l'adrénaline ne m'alimentait plus.

Poser la tête contre le bitume, souffler à nouveau. Entendre des pas claquer sur le sol avec dureté et voir une ombre noire se décrocher du ciel, contre-jour nocturne.

Niko s'éjecta du toit en direction de l'autre immeuble.

̶               Nooonnn !!!! hurlais-je en me remettant sur les fesses.

Percevoir une étincelle dans ses yeux. Il semblait planer, suspendu dans les airs par un fil invisible. Il était une ombre funambule sur fond de toile vinylique. Mon pote, avec une infinie agilité, avait perdu de l'altitude et il se mit à rebondir entre les deux bâtiments, tel un acrobate céleste. Les murs semblaient être les bras d'un artiste jonglant avec le corps de Niko.

Ce dernier après une ultime pirouette se réceptionna au sol en appuis sur ses pieds et ses mains, avant de se relever. Ne manquait plus qu'il fasse, un Y pour que je l'applaudisse. Ce qui me renvoya à mon atterrissage merdique ; moue déconfite se gravant sur mon visage.

Niko vint me retrouver et me tendit la main pour m'aider à me relever, je l'ignorais et me remis debout, seul ; garder un tant soit peu de dignité.

̶               Fredo, ça va ?
̶               Ouai à fond… P'tain tu m'as impressionné. Tu as dompté tes dons lycans ? C'est Lui qui t'as dit ce qu'il fallait faire ?
̶               Quoi ? Qui ça Lui ?
̶               Je… Euhm, l'esprit lycan qui t'habite.
̶               Il sourit et ne put réprimer un rire.
̶               Oublie ça !
̶               Ok, mais on en reparlera, tu m'inquiètes. Mais… Mais que t'est-il arrivé ? Tu es plein de sang. Tu les as débusqués.
̶               Je compris qu'il faisait allusion au sang qui souillait mon T-shirt.
̶               Quoi ? Ah, euh, non, malheureusement.
̶               Mens !
̶               Ce doit être mon sang qui m'a éclaboussé !
̶               Il renifla légèrement avant de reprendre.
̶               Ce n'est pas l'odeur de ton sang… C'est humain.
̶               Il y avait un mort là-haut, un des chasseurs je pense, et j'avais été blessé, il me fallait me 'nourrir'.
̶               Je comprends, dit-il, mais je sentais qu'il ne me croyait guère.

 

̶               Percevoir un mouvement du coin de l'œil, tourner la tête dans cette direction.
̶               C'est eux ! on y va !
̶               Non, j'y vais, tu es blessé Fred, tu dois te reposer pour que ton corps se répare. Tu me rejoindras après, je te fais confiance, dit-il en commençant à avancer et il reprit, en plus là, tu me ralentirais.

Il me fit un clin d'œil et se retourna. "Bon Courage" lui lançais-je. Et, il partit au pas de course. Impression déchirante de faire à nouveau des adieux.

Je pris appuis sur un mur et m'assis, fatigué, mais je sentais mes chairs se refondre. Fermer les yeux.

*

Le rouge semblait s'étendre, à perte de vue, suivant un cheminement qui lui était propre, et son effluve métallique me donnait faim, autant qu'elle m'écœurait.

Je remontais la trainée vermillon, respirant par la bouche pour éviter d'être submergé par la violence du ressenti : soif contre dégout.

Niko était là, sans vie, les yeux ouverts, mais éteints, sa bouche figée en un rictus de douleur. Une tige métallique dépassait de sa gorge, un trou béant à la place du cœur. A deviner la ligne rouge, on lui avait extirpé le cœur avant de l'accrocher ici…

 

Goulée d'air, le cœur qui se loge entre les marteaux et les enclumes, les tympans se vrillent. Cligner des yeux. Le cœur qui redescend au bord des lèvres. La vision me coupa le souffle, comme lorsque l'on s'apprête à vomir. La gorge brûle. Chargement d'acide, la bouche s'assèche brusquement ; impossible de respirer. Tousser.

Le souffle cassé, le corps voûté, je me forçai à tousser ; cracher le sang.

A quel point les visions peuvent avoir un effet sur le réel ? En avais-je franchi le seuil ?

Non, non, ne pas penser au pire, ce n'était qu'un putain de cauchemar, ce n'est pas arrivé. Pas en cinq secondes ; impossible.

Je pris mon portable dans ma poche, un clic pour allumer l'écran et lire l'heure… Fais chier ; 15 minutes s'étaient écoulées. Se ressaisir, courir… oui, mais par où ? Mon nez prit sa fonction de truffe et l'odeur de Niko me porta. Courir, suivre la piste à toute vitesse. Se rendre compte que ma douleur à l'épaule avait disparu. Au moins, cette sieste avait eu un effet positif, mais pourvu qu'il ne soit pas trop tard. La peur, envoya une dose supplémentaire d'adrénaline ; courir encore et toujours… J'avais l'impression de ne faire que ça depuis des mois ; courir à droite, à gauche, toujours, pour fuir, la majorité du temps.

J'avais cette sensation que quoi que je fasse, où que j'aille, je serais poursuivi… On dit que rien ne nous tombe tout cuit dans la main ; mouais, je ne sais pas quel est le con qui à dit ça, je m'en fiche d'ailleurs, mais je pense qu'il pourrait revoir son jugement… Le gars n'a jamais dû avoir de réelles emmerdes dans la vie… parce que oui, ça ne tombe pas tout cuit dans la main, sauf les merdes, elles sont archicramées même.

Être rappelé au monde extérieur d'un seul coup, par un son, un souffle, une voix. Celle de Niko. J'entendais des éclats de voix venant du ciel. J'arrêtai ma course, mon oreille se tendit à s'en décrocher la cymbale, mais je ne comprenais pas ce qu'il se disait. Je percevais plusieurs présences autour de mon pote et l'odeur âcre et métallique du sang / Flash cauchemar… non, exorciser cette vision. Levant les yeux je perçu des ombres se détacher plus sombre que le voile vinylique teinté d'hydrocarbure.

Ne pas réfléchir, foncer vers la porte du bâtiment, s'échiner sur la poignée, verrouillée. Un panneau électronique sur la droite, mais je ne pouvais sonner chez qui que ce soit, juste composer un code que je ne connaissais pas. Se reculer. Regarder autour, mais aucun immeuble ne dépassait celui-ci. Fermer les yeux. Faire mine de réfléchir et foncer. Les bras en bouclier je percutai la porte de verre. Sentir les éclats se ficher dans ma peau, mes cheveux, mes vêtements. Le bruit du mélange fondu de sable, chaux et de soude, fut assourdissant. Puzzle de verre sonnant et trébuchant au contact du sol.

Tomber sur les genoux et ne pas s'appesantir sur les coupures et le mal qu'elles procuraient et repartir. Se précipiter sur l'ascenseur aux portes fermées. Appuyer sur le bouton d'appel avant de voir l'écriteau annonçant "En panne !". Enrager en comprenant que ça serait l'escalier, obligatoire. Inspirer ; grogner ! Partir tout de go avant de s'en sentir incapable et d'être accablé par la situation.

Courir encore, courir toujours, foncer, rythme implacable, rebondissant. Au bout du septième étage, bénir la morsure primale du don lycanthrope. Ne pas ressentir la fatigue ankylosante de l'effort. Grimper, cascader dans les marches, avaler les marches quatre à quatre, sensation de planer au-dessus d'elles. Regarder en l'air et voir le plafond de la cage s'approcher inéluctablement 

Dernier étage, le gravir à la volée et se retrouver confronter à une porte entre-ouverte. La pousser légèrement et observer. Mon cœur tambourinait dans ma cage thoracique comme s'il voulait s'en extraire, tel un oiseau sauvage enfermé.

Niko était là, acculé contre le parapet, entouré de quatre hommes, dont trois équipés d'armes à feu, le menaçant, les chasseurs. Un seul sentait le loup, une odeur émanant de tout son être se mêlant à celle du liquide métallique, celui dégoulinant de ses doigts. Je sortis enfin en prenant soin de claquer la porte, mais ils ne réagirent pas, n'avait-elle fait du bruit que pour mes seules oreilles ? J'en doutais, mais pourquoi ne réagissaient-ils pas ? C'était étrange et je devais attirer leur attention, les détourner de Niko. Comme la porte n'avait pas fait son office, un grognement, enfla dans ma gorge, plein de courage et de folie, fort et violent. Aucune réaction cette fois encore, tel un coup d'épée dans l'eau ; enfin presque, mon pote m'avait remarqué, je le vis à une nouvelle lueur qui venait de s'éveiller dans ses yeux. Réfléchir à un plan d'action, il eut sans doute été mieux de le prévoir avant.

Deux des chasseurs, séparés par le lycan qui les accompagnait, menaçaient mon pote une lame dans la main, l'autre tenant leur arme sur le côté. Le loup avait les griffes sorties, concentrés sur mon pote, menaçant. Le dernier chasseur, le plus à gauche, gardait Niko en joug

Je me faisais plusieurs scenarii dans ma tête, mais aucun ne semblait fonctionner, toutefois mon idée première me séduisait plus que les autres. Je me voyais sauter sur eux, bouger vite, de l'un sur l'autre, un coup fatal, un seul… ou bien encore sauter sur le lycan, lui vriller le coup avant de l'envoyer s'écraser quelques étages plus bas… Oui les scenarii défilaient à toute vitesse, mais les 'rêves' ne se réalisent pas tous et la réalité amène ses imprévus. Ma cible restera celle que j'avais choisie en première. Le chasseur le plus à gauche.

Je me mis à courir à la manière des digitigrades pour faire résonner le moins possible mes pas sur le sol. Personne n'avait encore bougé, j'y entrevoyais une fin en ma faveur. Quatre mètres ; trois mètres ; deux mètres ; un mètre, bondir. Etre cueilli de plein fouet par un poing jailli de nulle part. Le souffle coupé, mon corps après un instant de flottement s'amouracha du béton.

Sentir des ailes pousser à mon col, se sentir comme une plume. Mes yeux me renvoyaient des images floues, sans doute le contrecoup du sol sur mon crâne ; tenter de faire la mise au point.


̶               Te revoici donc, nous t'attendions, tu es en retard !
̶               Qui es-tu ?
̶               Je n'arrivais pas à recadrer ma vue. Je percevais un contour de visage flou avec deux yeux d'un rouge brillant. Petit à petit je discernais mieux les détails. Son visage ne me disait rien. Mes globes oculaires se déplacèrent, cherchaient. Puis, ils se posèrent sur son bras. Sa peau y était marquée d'une trace blanche, comme celles que j'avais par endroits, des blessures d'argent…

*

"Hey chef, il a pu se métamorphoser seul, j'crois qu'on à miser sur le mauvais" brailla un autre loup, ce qui attira l'attention dudit chef. J'en profitais pour saisir Niko et le balancer dans la bonne direction, il atterrit sur le côté en écrasant quelques bancs au passage. Sans attendre, je me ruais de nouveau sur lui. A 50 centimètres de sa tête, une colonne, je pris appui sur celle-ci et me jetai en direction de l'autel. C'est à cet instant précis que tous les autres lycans changèrent d'attitude et mutèrent en se dirigeant sur moi ; Merde. Je savais qu'il y avait des trucs brillants sur ce meuble, mais je ne les voyais pas. Ma vue redevint humaine dans l'instant, je découvris alors de grands chandeliers et autres bibelots rutilants. En fin de parcours volant je saisis le premier qui me tombait dans la main, ce qui me causa une vive brûlure et avec elle une sévère douleur. "Ne lâche pas l'objet et balance-le sur ce William, vite !" Hurla intérieurement l'Autre. J'exécutai son ordre. Grognement.


*
̶               William ! soufflais-je.

Comment était-ce possible ? Je pensais qu'il était mort, mais en effet je n'en avais pas eu la confirmation. Pourquoi n'avais-je pas noté que ses yeux rougeoyaient ? Qu'est-ce que cela signifiait ?

̶               Tu me reconnais donc enfin.
̶               Je te donne le Carnet et laissez Niko tranquille, s'il vous plait !
̶               Non !
̶               Il partit dans un grand rire qui se voulait sans doute machiavélique, avant de se recentrer et de reprendre.
̶               Non, ça, c'était le marché premier, mais tu m'as désobéi. Non, maintenant seule votre mort à tous les deux me satisfera.
̶               Jamais, il est lié à moi, si tu me détruis, le Carnet n'existera plus ! Affirmais-je.
̶               Mensonge ! Hurla-t-il après un bref instant d'hésitation.
̶               Pendant le bref instant où il avait les yeux dans le vague, j'en profitai pour lui donner un coup de genou dans le sternum. Surpris, il me lâcha, lui était presque plié en deux pour tenter de reprendre de l'air, j'en profitai pour lui asséner un coup de coude au niveau de la tempe avant de me reculer légèrement.  Il s'écroula.
̶               Le chasseur qui avait gardé son arme la braqua dans ma direction, c'est à cet instant que Niko s'en prit à lui. D'un coup de griffes, il lui fit sauter une partie du crâne. Le chasseur s'effondra instantanément. Les deux autres lâchèrent leur lame pour prendre leur arme à feu.
̶               Sans vraiment réfléchir, je me précipitai vers eux en sautant et en prenant appui sur le lycan. Des coups de feu partirent Niko les évita, par chance moi aussi. J'atterris au plus près d'eux. Je réussi à en éjecter un dans le vide en le frappant en pleine tête, assommé il ne put se rattraper et finit sa course, écrasé, au sol. D'un coup plus ou moins bien placé, mon pote  brisa le poignet du dernier chasseur qui lâcha son flingue en hurlant de douleur.  Il allait frapper à nouveau, mais fut stoppé net. William s'était remis de ses blessures et s'était déplacé à une vitesse inimaginable. Il abattit son bras et envoya Niko s'écraser à l'autre bout du toit. Je perçus ses os craquer sous la violence du choc, j'en eus des frissons. Oubliant tout ce qu'il se passait je voulu me porter à son secours, mais à peine avais-je fait deux ou trois mètres que William apparut devant moi, m'obligeant à m'arrêter.
̶               Tu n'aurais rien dû tenter ! Mais tu t'obstines et à force de t'obstiner, tu perds inévitablement.
̶               Je perds ? Mais tu as perdu deux de tes hommes.
̶               Dommage collatéral, comme disent certains…
̶                
̶               Il commença à me frapper, comme si j'étais un punching-ball, j'essayais de résister tant bien que mal, mais sa vitesse me dépassait. Il parlait, mais je ne comprenais pas ce qu'il disait alors que j'essayais de me protéger de ses coups. Ses griffes s'enfoncèrent dans mon ventre et une étrange fatigue m'envahit. Frémissements indolents, les coups qui m'étaient portés ne trouvaient plus de résonance en moi... je m'éloignais peu à peu de moi, de mon corps... le lien s'était rompu... le sang quittait mon corps et je m'en floutais...
̶               Devant mon silence, il perdit patience et me frappa en plein thorax. L'air s'éjecta de mes poumons et fut accompagné de sang au sortir de ma bouche. Mes pieds quittèrent le sol. Mon bras frappa le chasseur qui tentait de se relever, son nez explosa, mais ne me ralentit pas. Mon dos heurta le muret de béton qui marquait la limite du bâtiment. Mais la pierre ne supporta pas la force du contact et céda alors que je continuais de reculer. Tout semblait se passer au ralenti, même moi, mes pensées… Espèce de plongée dans le néant.
̶               Plus rien ne me portait mis à part du vide, j'aimerai à cet instant être léger comme une plume et qu'une légère brise me soulève. Mais non, j'avais l'impression de peser une tonne et que rien ne pourrait me retenir ; je perdais de l'altitude, plus vite.
̶               Aide-moi, je t'en supplie aide-moi ! Psalmodiais-je intérieurement, Jin agit… Mais rien ne se passa, il m'abandonnait.
̶               Dans un geste désespéré, primaire, mon bras droit s'élança vers le haut. Ma main toucha le sol, mais recula rapidement attirée par mon poids. Toutefois, mes doigts se refermèrent sur le béton explosé. Muscles qui se tendent, s'étirent, se déchirent même ; se sentir vivant.
̶               Les brisures acérées de la pierre rongèrent ma peau. Il est de notoriété publique que celle des lycans à beau être plus épaisse que les simples humains, c'est le cas, mais pas à cet endroit.
̶               Les cailloux s'insinuaient dans les plaies. William fit quelques pas afin de me dominer de toute sa hauteur. Je vis sur son visage un sourire sardonique se dessiner, il prit un malin plaisir à presser son pied sur ma main. La pierre râpait mes os, ça faisait un mal de chien (de loup ?). La douleur était telle que des larmes s'échappèrent de mes yeux. Jin je t'en supplie vient moi en aide, je ne pourrais m'en sortir seul, pas cette fois, je ne m'en sens plus la force.
̶               Fred, ça fera sans doute cliché, mais il me semble que ta vie ne tient plus qu'à un fil.
̶               Si les rôles étaient inversés, je pense que je rigolerais, mais excuse-moi je suis occupé.
̶               Amuse-toi si cela soulage tes derniers instants sur ce monde. Tant que j'en suis à dire les dernières choses que tu entendras dans le monde des vivants, sache que tu ne seras pas le seul pour passer de l'autre côté, ton ami, là derrière, sera le prochain.
̶               Tue-moi si tu le souhaites, mais laisse-le en paix, il s'est retrouvé mêlé à tout ça contre son gré. De toute façon après ma mort, tu récupéreras le Carnet.
̶               Crois-tu que ce soit aussi simple ? Crois-tu que je pourrais me permettre de laisser quelqu'un connaissant la puissance du Carnet en vie ? Non, même pas en rêve. D'ailleurs sur ce point je t'ai vu en compagnie de Marie-Lou… Pathétique. Sans doute un syndrome de Stockholm… Mais rassure-toi cette petite pute subira le même sort que le tien…

Avant que je ne puisse protester, m'insurger, William appuya plus fort sur ma main. Je mordis plus fort mes lèvres pour contrer la douleur.

̶               Quoique j'y ajouterai un petit quelque chose, le dernier outrage avant sa mort…
̶               Monstre !
̶               Jin par pitié, ne le laisse pas leur faire du mal. Ils ne le méritent pas…

William me fit un clin d'œil et me sourit en laissant transparaître ses crocs luisants. Un grognement s'éleva à l'autre bout du toit. William retira son pied et frappa. Mes phalanges se replièrent de force. Le contact avec le béton se réduisit jusqu'à ne plus exister… 

Je tombais. L'appel du vide.

                        Marie-Lou, je t'aimerai même dans l'au-delà.

Déconnexion.

 Episode 3


Air : chose, inconnue indicible, indéfinissable et soluble dans l'espace.

Le pied de William reste un instant en suspens dans les airs, une légère arabesque et le voilà de nouveau ancré sur le toit du bâtiment. Je tombais désespérément. Renversement des sens, le sol échangea sa place avec le ciel. Je me débattis, tout reprit son sens.Abandonner le combat, les hommes ne savent pas voler, les lycans non plus, alors à quoi bon se débattre dans le vide. Fermer les yeux, relâcher jambes et bras pour attendre le choc. Pour attendre la fin. La fin, le début de la rencontre avec la grande Faucheuse.


Marie-Lou, je t'aimerai même dans l'au-delà.

Déconnexion.


Même au travers des paupières la lumière parvient à filtrer. C'était faible, de plus en plus faible. La chaleur humide s'amplifiait. Les ombres s'allongèrent et le noir fut complet.

Le choc ne vint pas. Brûlure dans ma poche. La chaleur augmenta encore et m'envahit entièrement, comme si je venais d'être avalé tout entier par un géant. Un géant des Enfers…Enfers le monde de Jin… Jin aide-moi !

Ne plus sentir le mouvement, ne plus être giflé par l'air frais. Ouvrir les yeux, les sentir brûlants.

Je ne sais comment je suis arrivé au sommet de l'immeuble, mais en un dixième de seconde, j'y étais. Je me sentais fort, vibrant de lumière, porté par le vent.


William était de nouveau sur Niko. Sans que je le veuille, j'atterri un genou à terre alors que j'aurais ardemment souhaité le choper et le balancer dans le vide, lui rendre la pareille, mais non, contre mon gré, le Carnet ne me le permit pas. Je me sentais fort, l'énergie n'émanait pas de moi, mais elle semblait couler en moi.

Le rugissement du loup s'enroula dans ma gorge le temps que mon visage devienne gueule, en un instant le grognement s'échappa. William se retourna, lâchant la prise qu'il avait sur mon pote, et son faciès sembla se décomposer… "Impossible !" laissa-t-il échapper.

Son trouble s'effaça rapidement, remplacé par un masque de rage, de colère. La violence électrisant son regard... Il fit craquer sa nuque, comme pour s'alléger, se libérer de son humanité.

Je le vis se changer en loup­-garou d'une énormité telle qu'à côté de lui, je semblais être une fourmi. Je voulais fuir, mon corps, mon cœur me l'ordonnait, mais je ne devais pas l'écouter, le Destin m'avait laissé une nouvelle chance. Jin m'avait sauvé la vie et pour ça, je devais affronter ce monstre. J'interprétais peut-être mal les signes, mais pour la postérité, je devais agir ainsi.

Je ne veux pas avoir honte de moi, même si cela semblait plus être du suicide que du courage, vu la différence de gabarit. Il le fallait.

Il révéla un sourire carnassier, retroussant ses lèvres, d'où de la bave commençait à se former, marquant ainsi toute la rage qui l'animait.

William s'élança vers moi, je devais trouver comment l'affronter. Jin, aide-moi encore ! "Tue-le, fais éclater son corps, expose son sang à la nuit !" Ce n'est pas l'Autre qui parlait et la situation ne permettait pas de m'appesantir sur la question de son identité, car William se jeta sur moi en effectuant un bond à une vitesse faramineuse. Ses griffes s'enfoncèrent dans ma peau pendant que mon corps basculait à la rencontre du sol. Je ne fis rien telle une poupée de chiffon que l'enfant échappe, le corps s'écrase au sol ; la tête heurte le rugueux du béton. Etincelle et flash viennent aveugler mes yeux ; visions stroboscopiques colorées de rouge. Coup de grisou dans mon dos ; court jus.

"Agis espèce d'abruti, incapable !" me gourmanda cette voix inconnue. Je le voudrais, mais je ne fais pas le poids, lui répondis-je. "Sans essayer, c'est certain. Le vouloir c'est pouvoir" insista-t-elle.

Dans ses yeux, un brasier semblait se consumer sans discontinuer. Les coups que j'avais réussi à lui porter précédemment l'avaient rendu fou de rage… Maintenant, que la tornade était lancée, pourrais-je lui échapper ?

Écrasé lamentablement au sol, William, à califourchon sur moi, me frappait de ses poings. Chacune de ses frappes m'éloignait un peu plus de moi, de mon corps, de ma vie, je ne réagissais pas, ne le contrais pas, mes forces m'échappaient insaisissable… Je m'éloignais de moi, mais je m'en floutais.

Je m'enfonçais dans les ténèbres qui n'appartenaient qu'à moi, du sombre noir au blanc immaculé, comme un compte à rebours, comme des étages que je passais. Mais là, dans une obscure clarté, la limpide voix de Marie-Lou m'atteignit. C'était comme si je l'entendais au loin, comme une prière qu'elle adressait au Grand Tout : "…faites que mon frère s'en sorte, que Fred revienne auprès de moi, que je puisse à nouveau me blottir dans ses bras. Je vous en supplie, de tout mon cœur, de tout mon corps, on se connaît si peu, mais il est mon tout, mon complément, ma vie. Sans lui, je mourrai demain…"

Ce fut un électrochoc, un stimulus nécessaire, j'ignorais s'il y avait une véracité dans cette vision, ou si ce n'était que mon imagination, quoi qu'il en soit ça m'avait fait comme un coup de défibrillateur. Les étages se succédèrent en sens inverse, comme une remontée en moi, du ventre à la gorge, à ma gueule et le long hurlement s'échappa, instant libérateur.

 

Ma main droite s'éleva et bloqua son poing gauche, ce qui surprit William qui se voyait enfin offrir une résistance. Ma main gauche bloqua son poing droit. Même s'il me dominait de par sa position, j'avais l'appui au sol, et de là, j'en tirais un léger avantage de stabilité.

Plaquant mon dos correctement sur le béton, je parvins grâce à mes jambes à me dégager de William en le faisant basculer. Juste le temps de me relever et il me faisait déjà face.

Nous nous jetâmes l'un sur l'autre en même temps, nous embrochâmes simultanément au niveau des épaules, nos griffes cherchant à blesser profondément l'autre. C'est à cet instant précis que je perçus mon reflet dans les yeux de mon adversaire. Des flammes semblaient sortirent de mon dos, des flammes formant des ailes… Des ailes, celles de Jin, celles qui m'avaient sauvé la vie. Elles disparurent subitement du regard de mon rival. Les avais-je imaginées ? C'était probable, mais je n'y croyais pas. Elles avaient dû rester le temps que je les vois, que je comprenne que Jin ne m'avait pas abandonné. Qu'il ne m'avait pas délaissé, mais que quelque chose le retenait, et de cette idée qui venait de fermer dans mon esprit, une pseudo-explication en découlait. S'il y avait bien quelque chose, il agissait pour me sauver quand c'était in extremis au prix d'une énergie folle.

La différence de taille avec mon adversaire se faisait sentir, ses griffes ripaient contre mes côtes, ça faisait un mal de chien, je n'arrivais pas à le repousser. Il labourait mes chairs de l'intérieur, me meurtrissant les muscles, les nerfs… je n'entrevoyais qu'une solution, mais je n'étais pas sûr que cela puisse fonctionner. Je tentais une nouvelle fois d'enfoncer plus profondément mes doigts en lui, mais sans y parvenir. Alors, je basculais mon dos vers l'arrière, l'entraînant avec moi. A l'instant même où mes fesses touchèrent le sol, je recroquevillais mes jambes pour expulser William. Grâce à l'effet de chute, la totalité du poids de mon ennemi n'était pas encore sur moi, ce qui me permit de l'obliger à se décrocher de moi, non sans qu'il m'arrache un peu de mes chairs, qui se refermeront peu à peu. Nous nous mîmes debout en même temps nous faisant à nouveau face.

Il commença à bouger en pas chassés, essayant de me contourner. J'agis de même, comme dans les vieux films, me dis-je. 

̶               Crois-tu vraiment pouvoir me tuer ?
̶               Je n'en sais rien, non sans doute, mais je ne te donnerai pas ma vie, il faudra la gagner.
̶               Je ne fais que jouer avec toi, il m'aurait été tellement simple de l'éliminer à plusieurs reprises. Tu es si jeune, si stupide. Tu l'as sans doute échappé à la mort grâce à la chance, ou au Carnet. Tu aurais tellement à apprendre, tellement… mais c'est déjà trop tard.
̶               Apprendre ? De toi ? Je n'ai pas envie de savoir comment faire pour faire chanter les gens. Je ne suis pas comme ça et je ne pense pas le devenir. Tu ne nous aurais pas abandonné lorsque tu nous as changés, peut-être, et j'émets l'hypothèse que nous aurions peut-être pu nous entendre. Mais ce n'est pas le cas.

William se mit à rire, qu'avais-je dit de si drôle ?

̶               Tu souris, serait-ce pour dire qu'il n'en serait rien, que jamais tu ne nous aurais laissé en vie ou alors que la transformation eut été une erreur ?
̶               Ignorant… lança t-il avant de se jeter sur moi.

Me baissant rapidement, je saisi un morceau de dalle en béton et l'explosa sur la tête de William, qui ne s'y attendait pas, perdit légèrement l'équilibre.

Un sifflement parvint à mes oreilles, et mon sens développé plus qu'un être humain ordinaire, en localisa l'origine. Mon cerveau calcula vite, très vite, me donnant une image claire, sans que je n'ai à regarder ; sensation étrange. Je voulus tout de même vérifier, une légère rotation de la tête et je vis de la vapeur s'échapper d'un conduit d'une colonne de chaleur.

Je saisis William et l'envoya valser dans cette direction, profilant de son état passager groggy. Je me ruai à sa suite. Mais il s'était déjà ressaisi et me frappa à son tour à l'abdomen. "Raté !" persiflais-je. "Que croyais-tu pouvoir faire ?" railla-t-il. Mais sans que nous nous y attendions, Niko le percuta violemment et sa tête heurta le tuyau. Le lycan hurla de douleur. Mon pote pressa sa tête sur le métal d'où la vapeur s'évacuait. Seulement, son adversaire parvint à se dégager d'un coup de pied dans la jambe qui émit un craquement sinistre.

J'étais de nouveau en piste et rien de cassé, "un peu trop de chance" me dis-je. William se releva, chancelant, la moitié du visage purulent, son œil droit semblait avoir plongé dans de l'acide, son orbite était moitié creuse, des lambeaux blancs, jaunes, dégoulinant, sombre rubicond, comme un œuf bouilli.

Je me demandai si le don lycan le réparerait, mais la réponse ne se fit guère attendre, ses chairs se reconstituaient ; fils devenant toile d'araignée écarlate.

"Tue-le ! N'attends pas qu'il retrouve ses forces !" Encore cette voix que je ne connaissais pas, mais à laquelle j'obéis aveuglément.


D'un bond, je me retrouvais à sa hauteur et ma main griffue se projeta dans son abdomen, la rencontre était chaude et humide. Mon poignet entra au contact de son apophyse xiphoïde et mes doigts enserrèrent une chose palpitante, son cœur. "Ce n'était pas moi" murmura-t-il. J'ai tiré d'un coup sec, j'entendis un bruit étrange s'échappant au niveau de la gorge de William. Il ne pouvait plus respirer. Ma main ressortie, contenant une "sphère" dégoulinante, encore chaude.

L'œil encore en bon état de mon ennemi, perdit presque instantanément son éclat rougeoyant et son corps reprit forme humaine. Son cadavre s'affaissa ; bruit mât. 

Je me sentis bizarre, rasséréné et fatigué en même temps. Vidé et plein simultanément.

Je laissais retomber le cœur, et tombais à genoux ; Expiration. 

Mon corps trembla, secoué de spasmes, comme si j'avais froid, pourtant j'avais l'impression d'être en feu, le Carnet retrouva son calme. Des gouttelettes continuaient de perler sur ma peau. Mes yeux me brûlèrent comme s'ils ne s'étaient pas clos depuis trop longtemps.

Mu par une volonté propre ma tête se releva en direction de la Lune que l'on devinait au travers d'un voile de nuage et un long hurlement sortit de ma bouche, tels ceux des loups lorsqu'ils perdent l'un des leurs.

Après ça, je me suis relevé et dirigé vers mon pote.

̶               Hey Niko, ça va aller ? C'est fini, William est mort, grâce à toi. Je n'y serais jamais parvenu seul !
̶               Oui, mes os se ressoudent déjà. Je t'ai aidé, mais c'est à toi qu'en revient la plus grosse part du mérite. C'est toi qui t'es pris le plus de coups.
̶               Oui, enfin ça, si on pouvait éviter d'en parler, parce que c'est peu glorieux, rigolais-je.
̶               Alors que nous parlions Niko se releva avec difficulté et, tout en sautillant et claudiquant, il se dirigea vers le parapet et passant ses jambes dans le vide, s'assit dessus. Il tapota à côté de lui pour m'inviter à le rejoindre, ce que je fis, une pause nous ferait du bien.
̶               Tu crois que cette fois c'est vraiment fini Fred ?
̶               Je ne sais pas. Pour l'heure je pense. Jin avait écrit que des créatures chercheraient toujours à s'emparer du Carnet, mais là, William est mort alors nous sommes au moins tranquille un moment.
̶               Je décidais de ne pas lui répéter la dernière phrase expiée par William, du moins pour le moment. Je crois que nous avions besoin de souffler un moment, même si beaucoup de choses étaient remise en cause.
̶               C'est beau n'est-ce pas ? Lança-t-il. La nuit, la ville allume ses feux, ça scintille, ça cache ce qu'il y a de mauvais. Il soupira. C'est bon de sentir ce calme, c'est reposant. Il s'en est passé des choses en moins d'un an, j'ai l'impression de ne plus rien reconnaître. Cette vie en captivité, ça n'a pas duré 'longtemps', mais assez pour que j'éprouve la sensation que je n'ai jamais rien connu d'autre.
̶               C'est triste, j'en suis désolé, j'en suis à l'origine. Mais durant cette période, tu t'es obligé à oblitérer tout ce que tu avais connu avant pour moins souffrir du manque de liberté. Tu as vécu tellement de choses… J'espère qu'il ne t'arrivera rien d'autre…
̶               Oui, cependant tu sais comme moi que ça ne sera pas le cas, nous sommes lycans à présent.
̶               Certes, mais j'aspire à une vie normale, Marie-Lou à mes côtés, des amis, et que nous soyons heureux et que les seules contrariétés soient celles de Monsieur et Madame Toulemonde.
̶               La pauvre quand j'y pense, elle en a bavé aussi.
̶               Nous devrions la rejoindre, elle doit s'inquiéter. J'attends que tu te remettes un peu plus.
̶               C'est gentil. Il faudrait aussi penser à se trouver des fringues 'propres', parce que là, on ne va pas passer inaperçu à l'hosto dans l'état où nous sommes.
̶               Ouai, c'est clair.
̶               Nous restâmes assis là encore une quinzaine de minutes dans le silence de la contemplation. Peu à peu, les bruits de la ville reprirent leur place. Nous en avions fait abstraction. Dans ma tête tournait toujours la dernière phrase de William et je ne pouvais me défaire de ce qu'il n'avait pas dit, mais qui semblait inévitable "d'autres viendront !"

A cela s'ajoutait le fait que je cherchais comment avait commencé la journée… Une sorte de féerie, l'impatience de revoir celle que j'aimais. La voir cascader les marches du grand escalier de la gare, cheveux au vent, se détachant du monde qui l'entourait, perçant la foule, larmes aux yeux pétillants et sourire aux lèvres. La serrer contre moi, tournoyer en noir et blanc en faisant abstraction de la vie qui s'écoulait tout autour… la félicité qui tourne au cauchemar l'instant suivant.

*

Trois quarts d'heure plus tard, nous arrivions à l'hôpital.

Nous nous étions servis sur les dépouilles des chasseurs pour nous refaire une tenue 'correcte' ou du moins présentable. Niko n'était pas très chaud pour ça, mais c'est ce qu'il y avait de plus simple, les magasins étant fermés et quand bien même s'ils avaient été ouverts, dans notre état, cela aurait posé plus de problèmes que ça n'en aurait résolus.

Ce n'était pas parfait non plus, il y avait tout de même quelques taches de sang, mais c'était un moindre détail.

Nous avons ensuite usé des fontaines publiques pour nous débarbouiller. Ensuite, ce fut plus délicat, suivre la piste, même si l'odeur de nos amis était toujours présente, elle était passablement effacée et sous couverture des miasmes de la ville… vive la pollution. Toutefois, nous parvînmes à la retrouver et à rejoindre leur point de chute.

Nous gravîmes les marches à l'envolée, aux pas de course et, me jetant au guichet d'accueil, je demandais auprès de Damian Batores.

Ma précipitation poussa la réceptionniste à être plus suspecte et me demanda si j'étais de la famille tout en m'examinant des pieds à la tête. Je répondis que j'étais son beau-frère, le plus sereinement possible. Cependant, elle ne me répondit pas, elle me dévisagea de nouveau et elle eut un mouvement de recul qui me surprit.

̶               Fred, Niko !
̶               Clignement d'yeux, en même temps que je me tournais vers la voix qui m'appelait. Marie-Lou se tenait en haut d'un palier de marches qui s'emmitouflait dans un châle gris.
̶               "On se passera de votre aide finalement" grognais-je en me détournant légèrement vers la réceptionniste. Marie-Lou nous scrutait à la recherche de blessure, inquiète bien qu'heureuse de nous revoir en vie.
̶               Ça va toi ? Et Damian ? M'enquérais-je.
̶               Oui, il est stabilisé. Ils lui ont retiré la balle qui l'avait touché.
̶               Où est-il maintenant ? Demanda Niko.
̶               Il est dans sa chambre. Les médecins lui ont donné de la morphine et des trucs pour qu'il puisse dormir sans souffrir. Ils m'ont demandé s'il avait voyagé à l'étranger ces derniers mois, j'n'ai pas compris pourquoi, alors j'ai dit que nous avions été à Malte. Vous croyez qu'il aurait pu contracter un virus en plus ? Je m'en veux qu'il se soit retrouvé impliqué dans tout ça… dit-elle avec un décrochage dans la voix à la dernière syllabe.

Elle se força à ravaler un sanglot. Je l'ai pris dans mes bras en déposant un baiser sur son front. Je sentais ses larmes s'éteindre sur mes vêtements. Après quelques minutes elle me repoussa tendrement tout en reniflant légèrement.

̶               T'sentirais-tu pas un peu bizarre toi ? me demanda-t-elle. Pis c'est quoi ces fringues ?
̶               Une longue histoire que je te raconterais, mais pas ici.
̶               On peut aller dans la chambre de mon frère !
̶               On ne dit mot jusqu'à ce que nous gagnions la protection des quatre murs deux étages plus hauts.. Damian était allongé, un tuyau reliait son bras à un goutte à goutte, et des fils le rattachaient à un moniteur qui émettait des bips réguliers.
̶               Il n'y avait que deux fauteuils, je m'assis dans l'un et Marie-Lou se blottit contre moi. Niko se pencha au-dessus du blessé et lui murmura quelque chose dans le genre "accroche-toi mon pote !" et il prit l'autre fauteuil, où une fois en position assise, il soupira d'aise.
̶                
̶               Vous allais-tu m'dire c'qui vous est arrivé !
̶               C'est étrange de voir à quel point son accent québécois lui revenait quand elle était stressée.
̶               Nous avons retrouvé William et nous l'avons éliminé, dis-je abruptement.
̶               Non, mais t'pourrais développer un peu plus tout d'même.
̶               J'ai failli tuer Niko.
̶               Quoi ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
̶               J'ai laissé l'instinct prendre le contrôle et je ne sais pas pourquoi. Lorsque j'ai eu conscience de ce qui se passait, j'ai arrêté.
̶               Et il est tombé, termina Niko. Je lui ai conseillé de reposer un instant et j'ai continué à les suivre. Je les ai perdus un moment, ils avaient brouillé leur piste. Bref, ils me sont tombés dessus, William et ses trois acolytes de chasseurs. J'ai tenté de me défendre, sans succès et Fred est arrivé. Il a tenté une attaque sur William alors que j'allais tenter une diversion, mais il était mille fois trop rapide.
̶               C'était un alpha ! Révéla Marie-Lou.
̶               Un quoi ? Demandais-je.
̶               Un alpha, c'est un chef de meute, les autres sont des bêtas. On peut hériter du titre et des capacités par descendance naturelle, soit en battant le précédent.
̶               Tu veux dire que Fred en serait un à présent ?
̶               Je crois…
̶               Mais comment sais-tu cela ? Et de quelles capacités parles-tu ? M'inquiétais-je.
̶               J'ai été leur prisonnière, rappelez-vous. Ils m'ont dit des choses, pour que je puisse tenir au mieux mon rôle et j'en ai écouté certaines par la porte, et d'autres que j'ai découvertes. Regarde-moi Fred !
̶               Je m'exécutai, elle perça mon regard, plongeant le sien dans mes yeux inquiets.
̶               Il n'en est pas un ! Lâcha-t-elle enfin.
̶               C'est peut-être trop tôt ? Essaya Niko.
̶               Non, c'est un transfert immédiat. Bref, désolé je vous ai coupé dans votre histoire.
̶               C'n'est pas grave, tu sais l'essentiel.
̶               Nous nous sommes battus, il avait le dessus. Niko a été salement blessé. Il est revenu me sauver et il s'est fait expulser de nouveau, mais la diversion qu'il a créée m'a permis de tuer William. Je n'y serais jamais arrivé seul. Car seul, j'en ai pris plein la tête.
̶               Marie-Lou remercia Niko d'un signe de la tête et lui murmura un merci infini. Puis elle se tourna vers moi et m'embrassa. Je lui rendis son baiser. De mon pouce je lui caressais le bras… Je me sentais niais dans l'expression de mon affection.
̶                
̶               Vous voulez boire ou grignoter un truc ? Proposais-je au bout d'un moment pour rompre ce silence qui me pesait.

Ils ne demandèrent que de l'eau. Je quittais la chambre. Avant de refermer la porte, je posais sur eux un regard bienveillant et sentis toute la tristesse qui planait au-dessus de leur tête et me flagellais intérieurement d'être à la source de tout ça.

Je marchais au travers des couloirs ne croisant que très peu de monde. Les heures de visites étaient terminées depuis longtemps, seuls les très proches étaient encore autorisés. Les taches de sang sur moi attiraient le regard des infirmières que je croisais, je détournais les yeux.

Mon cœur tapait fort dans ma poitrine, tel un marteau-piqueur. Il cognait si fort, qu'il résonnait dans mes os, mes oreilles, que j'en venais à me demander si ce n'était pas pour cette raison que l'on me regardait étrangement. Ça frappait tellement que j'avais l'impression que tout à l'intérieur changeait de place, mais si tel était le cas, c'était sans douleur.

Je pris l'ascenseur pour gagner le rez-de-chaussée. Aux toilettes je me passais de l'eau sur le visage, ça faisait du bien, j'avais l'impression que sang était devenu feu que j'avais retrouvé Marie-Lou, ou peut-être était-ce d'avant. En me redressant, j'ai croisé mon reflet. Je scrutais mes yeux, essayant de percevoir de percevoir quelque chose, un truc différent, un changement. Mais non, il n'y avait rien. Je baissais les yeux, je souris, bêtement. Rassuré. Un battement de cils dans le miroir, les pupilles étaient rouges, brillantes. Je me reculai prestement, faisant un bond de surprise, mon dos percuta la porte de derrière, avec fracas.

Accélération cardiaque. Déglutition.

 

Je tentais de me ressaisir, en vain. Me relevant en prenant appui sur le chambranle de la porte. Je me rapprochais lentement de la glace, mes yeux étaient tout ce qu'il u a de plus normal.

Encore une hallucination.

                                               Expiration.

 

Un dernier coup d'œil pour vérifier ; rien. Je sortis et gagnais le distributeur de boissons et pris trois bouteilles d'eau. Je fis le chemin inverse. Arrivé devant la chambre alors que j'allais entrer, j'entendis la conversation en Marie-Lou et Niko.

̶               Je te remercie encore une fois pour avoir pris soin de Fred !
̶               Avec plaisir, mais c'est à se demander qui à le plus pris soin de l'autre, plaisanta-t-il. Tu l'aimes vraiment n'est-ce pas ?
̶               Oui. Je ne m'attache pas facilement aux gens. J'ai peur que les autres me blessent, me manquent… Mais là, je ne sais pas, c'en est presque devenu vital. Ça va sans doute te paraître ridicule, mais j'ai quitté Matt et ses amis précipitamment, j'étais contente de le revoir, je ne me posais pas de question, j'avais hâte de retrouver mon frère voilà tout. Mais…, une fois dans le train, à tout  cela s'ajoutait l'envie de séduire Fred… Ne te moque pas steuplait. Alors, j'ai pris mon sac direction le toilette du train pour me changer, et c'était tout petit. Alors, je me disais que ça irait finalement, puis non. J'ai ouvert mon sac et je suis tombé sur cette robe de bal que Nathalie, la sœur de Jack, m'a offerte. J'ai retiré mes vêtements, et… ça a toqué à la porte, qui a commencé à s'ouvrir… oui j'ai la tête dans le nuage, j'avais oublié de la verrouiller et je me suis retrouvée à moitié nue devant le contrôleur. J'ai piqué un fard devant lui qui s'excusait tout en retirant la porte.

Niko explosa de rire, rapidement il fut rejoint par Marie-Lou. Entendre leur rire me fit du bien. Comme si l'insouciance revenait, enfin peut-être pas l'insouciance, mais au moins comme si un poids s'était enlevé. 

D'un coup, c'était le vide autour de moi. Mon cœur se serra brusquement, un coup de poignard. J'ai lâché les bouteilles d'eau qui rebondir sur le sol. Les rires se turent.

Je sentis le froid du carrelage sur mon visage.

 Le temps de fermer les yeux, de les rouvrir, je vis les pieds de mes amis à quelques centimètres de moi. Les sons me parvinrent étrangement déformés, de loin, d'un au-delà. Puis les mains et le visage de Marie-Lou m'apparurent. Je commençais à me relever, "Non, ne bouge pas" me dit-elle. Mais je ne voulais pas l'écouter, je me relevais, je le devais.  Niko passa sa main sous mon épaule pour me soutenir, il connaissait mon côté têtu. "Je vais cherche de l'aide" insista Marie-Lou. Non, fis-je en secouant la tête.
̶               Mais tu t'es évanoui…
̶               Non, ça va aller, dis-je en plaçant ma main au niveau du cœur, qui ne me tiraillait plus.
̶               Viens t'asseoir, décréta Niko qui me soutenait tellement que mes pieds ne touchaient pas le sol, ou du moins je ne le sentais pas.
̶               J'avais froid à présent. C'était étrange… un temps l'on croit brûler et l'instant d'après c'est comme si on était plongé dans un iceberg. "J'ai chaud extrême en endurant froidure" disait Louise Labé. Mon cœur battait lentement, plus lentement que d'habitude.
̶               Des éclairs zébraient le ciel, le tonnerre semblait loin, les roulements de tambours célestes étaient faible. Marie-Lou prit place sur l'accoudoir du fauteuil et passa son bras derrière ma nuque. Sa main se mit à glisser le long de mon bras en sorte de caresses.
̶               Hey, ça va aller, ce n'est rien, t'inquiète pas pour moi.
̶               Non c'n'est pas rien. Tu t'es évanoui. Je ne comprends pas pourquoi tu refuses de voir un médecin, alors que nous sommes dans un hôpital, c'est tout !
̶               Je ne suis plus tout à fait humain et tu le sais. Que trouveront-ils, s'ils me font une prise de sang ?
̶               Ça poserait plus de problèmes que de solution,  constata Niko.
̶               Tu pourrais me soutenir toi ! C'est ton pote.
̶               Oui, c'est mon pote, mais tu sais comme moi qu'il est aussi têtu qu'obstiné et que rien ne lui fera changer d'avis.
̶               Il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis.
̶               Oui et j'en suis le roi, décrétais-je. Mais en ce qui concerne mon malaise, c'est dû au trop-plein d'émotions de la journée, à la fatigue et… nan c'est tout.
̶               Quoi que se passe-t-il ? Qu'est-ce qui te tracasse mon pote ?
̶               Je ne voudrais pas vous inquiéter, mais avant que William expie son dernier souffle, il a dit que ce n'était pas lui.
̶               De quoi parles-tu ? Ce n'était pas lui quoi ? S'énerva Marie-Lou.
̶               Pendant le combat, j'ai émit le doute que notre transformation soit de son fait. Sur le moment, il n'a fait que sourire. Mais, je sens que ce n'était effectivement pas lui qui nous a mordus dans les Pyrénées.
̶               Pourtant Marie, tu nous as dit que c'était vous quand tu es venu à notre rencontre !
̶               Oui c'est ce qu'il m'avait dit de dire, mais c'est peut-être le cas. Je me rappelle qu'avant que nous vous trouvions il a reçu un appel.  Et au fur et à mesure de la conversation, il prenait un air de plus en plus grave. Mais je ne sais pas ce qu'il c'est dit à l'autre bout du cellulaire.
̶               Ça ne confirme pas, mais je le pressens. Je crois que quand Damian pourra sortir, je partirai à la recherche de l'alpha qui nous a contaminés.
̶               Pour ma part je t'accompagnerais.
̶               Je parle en mon nom et celui de mon frère, nous serons avec toi !
̶               Non ! Non, non non. J'irais seul. Je pense que le danger ici est en partie écarté, et ce qui reste me suivra, ou plutôt suivra le Carnet.
̶               NON, tu vas nous écouter. Depuis que je te connais tu te la joues héros à l'américaine, dans ces putains de blockbusters à la con.
̶               Marie-Lou, secoua vivement la tête en soufflant, le ton autoritaire qu'elle avait pris nous intima de ne pas contester, elle reprit.
̶               Oui j'ai une vie, une famille, une femme, des amis que j'aime, mais je préfère me lancer dans une quête qui me mènera je ne sais où, seul bien entendu, pour protéger ceux que j'aimais, ceux que j'aime et que j'aimerai. J'ai réveiller, amener à moi un monde empli d'effroi, tout est de ma faute, je dois expier mes fautes pour les sauver même si cela doit m'amener à crever comme un con et rester dans l'oubli.
̶               Ses joues devenaient de plus en plus rouges, les veines au niveau de ses tempes se faisaient plus grosses et visibles…
̶               Mais bordel Fred, tu ne te rends pas compte que l'on t'aime ? Que je t'aime ? Non ? Est-ce que ça te coûterait quelque chose de demander l'avis à Niko ou à moi de ce qui doit se passer ? Non, ça ne te coûterait rien. Arrête de croire que tu es maudit, c'est toi qui te mets une telle idée en tête, toi et toi seul. On est là, à tes côtés parce que c'est notre choix. Si on a envie de t'accompagner dans cette quête, on le fera, tu n'as pas le droit de choisir pour nous. Si nous ce qui compte c'est d'être avec toi, de vivre avec toi et qu'on préfèrerait mourir à tes côtés plutôt que vivre en te pleurant, que pourrais-tu y faire ? Tu n'es pas un héros, t'es qu'un putain de con égoïste.
̶               Elle reprenait son souffle, tout son corps tremblait. Des larmes s'écoulaient de ses yeux, pourtant ses pupilles étaient noires et brillantes, pleines de frustration et de colère.
̶               Tu ne t'appartiens pas. Dès l'instant où tu décides de fréquenter des gens, de partager des choses avec eux, de vivre avec eux, tu leur donnes une partie de toi. En décidant de m'embrasser, de me faire l'amour, de vouloir qu'on sorte ensemble, tu m'as donné un droit de regard sur ta vie. Comment pourrais-je annoncer à tes parents, tes frères que je ne connais pas, que tu as perdu la vie ? Réfléchis un instant. Réponds juste à cette simple question, est-ce que tu m'aimes ?
̶               Un éclair gigantesque apparut dans le ciel et simultanément, le tonnerre explosa.
̶               …
̶               J'étais scotché, elle avait balancé ça avec une telle force, une telle énergie que je ne trouvais rien à redire à sa tirade; mais je devais répondre à sa question, bien que je sache ce que cela sous-entendait, je n'avais pas le droit de lui mentir.
̶               Oui. Je t'aime et ce depuis que j'ai croisé ton regard.

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