Voilà longtemps que je n'avais posté ici.
Alors pour compenser et vous remercier de votre patience, voici une nouvelle que j'avais proposé pour un Appel à Textes aux Editions de La Cabane à Mots dans le cadre de leur 3ème Antho-Noire.
J'ai été recalé au 2ème tour, ce n'est pas grave, comme ça vous pouvez la lire plus vite que prévu :p
Bonne lecture et n'hésitez pas à donner votre avis.
Fred
Battement de cils.
Harassé après cette journée de boulot, il enfila son blouson et se frotta les yeux. En quittant son lieu de travail, le soleil commençait à éteindre ses rayons, il lui restait suffisamment de temps de pour rentrer chez lui avant que la nuit ne tombe.
Depuis deux ans que le couvre-feu avait été instauré, les personnes habitant à proximité de leur entreprise étaient celles qui terminaient le plus tard. Le monde avait donc connu une course aux logements retirés au maximum des agglomérations. Les prix des loyers en périphérie atteignirent des sommets alors que ceux des centres-villes dégringolèrent. Avec son modeste salaire, Olivier ne pouvait se permettre de s'éloigner.
Aujourd'hui, la fréquentation de la librairie avait battu son plein, l'on se serait cru au mois de décembre. Fichu 21 juin où la population était invitée à se réunir entre amis, en famille pour célébrer la vie, l'été. Une fête uniquement créée pour relancer l'économie.
Olivier, trentenaire, préférait errer en solo chez lui, son côté rebelle, mais rebelle soft.
La première alarme annonçant le couvre-feu résonna à travers les rues, l’arrachant à sa torpeur, se surprenant à contempler une vitrine richement décorée.
Il y avait sept coups, chacun espacé d'une simple minute, pour marquer l'arrivée des dangers nocturnes. À la fin de ce septuple, les habitants devaient être chez eux ou du moins à l'abri chez leurs alter ego. Pour les grandes fêtes nationales comme en ce jour le plus long de l'année, les personnes qui recevaient pour la soirée avaient pour consigne de garder à dormir leurs invités. L'autorisation de sortir était donnée lorsque les sirènes émettaient leur chant que la population avait surnommé "la délivrance".
On n'est jamais assez prudent, je ferais mieux de me dépêcher un peu, se dit Olivier en comprenant que sa rêverie lui avait coûté cinq minutes de jour. Il pressa le pas. Le deuxième coup retentit. Il croisa des couples avec des enfants dans les bras qui couraient pour être chez eux. Même en ce jour de fête et par ces chaleurs estivales, tout le monde essayait de profiter de l'air extérieur, repoussant l'inéluctable moment où il fallait se raisonner et partir se calfeutrer chez soi.
Le cinquième coup tinta et il restait à Olivier quelques pâtés de maisons à traverser avant d'être chez lui. Il avait un mauvais pressentiment, comme si les aiguilles de la Grande Horloge du monde accéléraient et que lui avait des difficultés à se traîner. Il se sentait lesté, la fatigue accumulée pesait lourd sur ses jambes. Ce poids l'empêcha de lever son pied droit, il buta sur un pavé mal calé et la chute arriva. La sixième cloche émit sa note.
La panique conquit le jeune homme tout honteux de sa chute. Il se releva, fit un pas, tangua. « Non, non pas ça ! » supplia-t-il la voix tressautante que l'inquiétude venait de gagner.
La respiration haletante, il poursuivit son chemin au plus vite en évitant de solliciter sa cheville blessée.
Cinq-cents mètres à parcourir, jouable, mais dans son état, rien n'était moins sûr. Ils ne surgissent pas forcément au septième coup, pensa-t-il pour s'asséner un peu de positivisme alors qu'il n'y avait plus âme qui vive dans les rues.
Se rassurer, tenter d'y parvenir, quoi qu'il en coûte. Il frissonnait pourtant les rayons du soleil distillaient leurs derniers brins de chaleur. Sueur froide glissant entre ses omoplates.
Entre ses lèvres, il murmura une prière à un dieu, quel qu'il soit, pour ne pas être attaqué, ne pas être tué.
L'ultime son du tocsin, Olivier le prit pour le glas. Encore trois-cents mètres, sa démarche s'approchait de la course, grimaçant à chaque impact. Instinctivement son corps modifia sa prise d'appui pour que le seul contact avec le sol soit sa pointe de pied. Son cœur fracassait les os de sa poitrine ; machine à laver déséquilibrée. Les muscles de ses jambes tiraient, brûlaient. Cent-cinquante mètres. Quatre-vingts. Depuis quelques secondes, il ressentait un picotement sur sa nuque comme si quelqu'un portait un regard persistant sur lui, sa peur redoubla. Et s'il était devenu la proie d'une Créature ? Il y était presque, un dernier effort. Une ombre le frôla, mais il était en vie, il le savait. Peut-être avait-il rêvé. Sa main fouilla dans sa poche et ses doigts se refermèrent sur la clé. À peine atteignit-il le perron qu'il enfonça le petit bout de métal. Déclic. Il entra et s'empressa de fermer derrière lui, calquant son dos contre la porte de l'immeuble et se laissa choir, les jambes flageolantes. Il souffla. Jamais il n'avait connu une aussi grande angoisse. Il attendit deux trois minutes avant de se redresser afin de gagner son appartement. Là, il alluma la télévision et s'orienta vers la douche. L'eau chaude lui procura un sentiment de bien-être, l'effroi s'écoulait de lui jusqu'au siphon. Une fois séché, il examina sa cheville, elle n'était pas enflée. Il se traîna jusqu'au canapé et s'écroula écoutant distraitement les nouvelles.
Le présentateur en costume parlait, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Le jeune homme augmenta le volume avec la télécommande : "Aucune créature n'a encore été repérée pour cette nuit. Ceci étant, n'ouvrez pas les fenêtres pour tenter de rafraîchir vos intérieurs. Les climatiseurs sont vos meilleurs alliés. Votre sécurité et celle de vos amis est la priorité…" « Blablabla » ânonna Olivier à tue-tête. Il se releva et se dirigea vers la fenêtre. Pas une voiture, pas un passant, juste la nuit. Les lampadaires émettaient de faibles halos prouvant que la ville n'était pas morte. Il se remémora, avec une certaine mélancolie, une ère révolue, d'avant l'instauration du couvre-feu. Aux beaux jours, les habitants se promenaient après le soleil déclinant afin de profiter de la fraîcheur offerte par l'astre nocturne. Belle époque… à cette date lui également agissait de la sorte. Mais l'apocalypse, leur apocalypse avait tout changé. Oui, le jour où ils s'étaient révélés, le monde avait basculé dans la peur qu'aucun humain ne contrôlait. Les Créatures menaient à présent la danse et s'étaient déjà emparées de la nuit, s'arrêteront-elles là ? Nous étions leurs proies.
*
Après une journée de repos, imposée, étant donné que le 22 juin était férié, il retourna travailler. Les clients s'enchaînaient narrant au détour d'un rayon lors de rencontres, ce qu'ils avaient fait l'avant-veille : dîner en amoureux, célébrations magnifiques entre amis où certains regrettaient l'absence d'autres. Olivier les écoutait avec une pointe d'envie avant d'effacer ce sentiment. De toute façon, il n'avait guère le temps de s'appesantir sur ces discussions puisque beaucoup de clients venaient pour "troquer" des cadeaux qu'ils avaient reçus en double ou qu'ils n'aimaient tout simplement pas. Il ne comprenait pas, un présent était un cadeau et l'intention prévalait sur le présent. Aux environs de vingt-et-une heures, alors que son service allait se terminer, une demoiselle se présenta à lui. Elle le salua avec un joli sourire, qui changeait de l'habitude du jour où la plupart des clients se montraient bourrus, voire passablement désagréables.
— Rude journée, n'est-ce pas ?
Cette question, cet intérêt le poussa à relever un peu plus la tête de son écran et il la détailla discrètement. Elle était belle avec ses longs cheveux châtains bouclés. Deux mèches astucieusement disposées occultaient, juste ce qu'il fallait, ses yeux en amande, de la même couleur que ce fruit.
— En effet. Que vous fallait-il ?
— Euh oui, pardon. Auriez-vous "Une chaude nuit d'été" de Shakespeare ?
— Ne serait-ce pas simplement "Une nuit d'été" ?
— Oh oui, pardon, je suis confuse, vraiment. Désolée. Je ne sais pas à quoi je pensais, dit-elle dans un éclat de rire cristallin.
— Il faut dire que l'été s'est bien installé.
— Merci la clim', ajouta-t-elle souriante.
— Oui, je vais vous chercher l'ouvrage, il doit m'en rester un, lança-t-il sur le même ton tout en filant en rayon.
Il lui remit l'ouvrage en question et elle le salua, par une petite révérence, presque charmeuse. Olivier l'espionna à la dérobée, elle était parmi les derniers clients du jour.
Lorsque tous les visiteurs quittèrent la surface de vente, Olivier se permit de souffler doucement. Il terminait sa journée sur une bonne note. Du moins, c'est ce qu'il crut. Lors du trajet retour jusqu'à son domicile, il se sentit surveillé ; sensation tenace d'un regard posé sur la nuque. Fourmillement désagréable. Il accéléra sa foulée et dans l'instant suivant, des bruits de pas résonnèrent à sa suite. Tout en gardant sa trajectoire, il tenta d'apercevoir quelque chose en se retournant, en vain. Fort heureusement pour sa sérénité, il gagna son logement qu'il boucla à double tour et calfeutra ses fenêtres avec les volets ; ultime prise de risque de la soirée.
Il se cala dans son canapé, la peur lui avait coupé l'appétit. Il alluma nonchalamment la télévision et celle-ci déversa son flot quotidien d'informations terrorisantes. Celle qui annonça 542 morts recensés imputables aux créatures sur les dernières vingt-quatre heures de nuit pour l'ensemble de la Terre, demeura ancrée dans son esprit. Comment était-ce possible ? D'aussi loin que remonter sa mémoire sur ce sujet, jamais il n'y avait eu autant de morts depuis que le monde avait eu connaissance de l'existence des Créatures.
Il s'endormit une heure après. Olivier rejoignit le pays des songes. Il errait tranquillement dans les rues, le soleil haut dans le ciel dardait ses rayons sur la peau de ses bras nus, il était bien, à l'aise. Il s'assit à l'unique table vide d'une terrasse de café et demanda une bière que le serveur lui apporta prestement. Il en but une gorgée et en apprécia la fraîcheur contrastant avec la chaleur extérieure. Quel délice ! Peu de temps après, une voix de femme l'interpella, il pivota dans sa direction, mais ne put la reconnaître, ébloui par l'astre solaire, elle se trouvait dans un parfait contre-jour soulignant ses courbes magnifiques. Elle lui demanda s’il l’autorisait à s'installer à sa table pour se reposer un peu, il accepta. La femme se décala donc pour prendre place. Ainsi libéré de sa prison formée par les rais aveuglant du soleil, il la reconnut, cette fameuse inconnue du jour dont il ignorait le nom. Elle le lui dit pourtant, mais il ne le saisit pas. À quoi bon le lui faire répéter, maintenant il l'admirait à loisir.
Ses cheveux ondulaient, virevoltaient dans une brise légère accentuant ainsi l'ovale de son visage. Chacune de ses respirations gonflait sa poitrine, hypnotisant Olivier. Entre le verre de la table, il remarqua que les jambes croisées de la belle avaient relevé sa mini-jupe. Il la scrutait dans le moindre détail, tout en elle, jusqu'au petit grain de beauté placé aux commissures de ses lèvres, qu'elle mangeait langoureusement, le fascinait. Le serveur apporta sa boisson à la belle, il ne se rappelait pas l'avoir vue commander. Il s'en fichait, il leva son verre, ils trinquèrent. Le ding se répéta encore et encore pour se muer peu à peu en une forme de buzz itératif, stressant, irritant.
Bruissements. Un bras se lève. Bougonnements. Froissement de tissus. Une main qui cherche à tâtons le bouton d'arrêt du réveil. Silence. « Pas déjà, ça n'a duré qu'une seconde… », bougonna-t-il.
Olivier se leva et tout en se frottant les yeux se versa un café qu'il mit à chauffer. Alors qu'il s'asseyait, des bribes de souvenirs datant de cette nuit lui revinrent en mémoire et son rythme cardiaque accéléra.
Obnubilé par cette demoiselle, les journées s'écoulèrent pour lui comme dans un monde semi-éveillé, où seule la partie centrale de son champ de vision était nette et les contours dans le flou. Répondant aux clients de manière mécanique, il exécutait tout machinalement. Il n'y eut qu'un instant où il fut surpris et émergea de sa torpeur.
— Bonjour, vous auriez "Maintenant que je serais toujours sur toi" ?
— Bonjour. Je ne connais pas, vous rappelez-vous son auteur ?
— Non, désolé, répondit-il en grimaçant. Je sais seulement qu'il est musicien également… ça ne vous aide pas vraiment, n'est-ce pas ?
— En fait si, je pense simplement que vous vous trompez de titre et du coup que le sujet que vous imaginiez y trouver ne sera certainement pas le même.
— Pourquoi ? Ce n'est pas en rapport avec le décès de la mère du "héros" et par la même occasion de l'auteur ?
— Si, bien sûr.
Olivier s'excusa et revint avec le livre de Mathias Malzieu et le tendit au client. Ce dernier énonça le véritable titre à voix haute « Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi » et il se mordit tendrement les lèvres, gêné. « Oups » lâcha-t-il avant de remercier le libraire et d'avancer de quelques pas. Olivier crut entendre le mot "lapsus" franchir les lèvres du garçon lorsque celui-ci tourna son visage dans sa direction.
Le trentenaire reprit ses tâches habituelles, réceptionnant les nouveautés afin de les mettre en rayons. Les éditeurs avaient dû se donner le mot pour faire toutes leurs sorties en un unique office. Il aimerait bien s'offrir une baguette magique et que tout soit entré en stock. De temps à autre, entre deux clients et quelques piles de romans ou de bandes dessinées, il se remémora la femme aux cheveux châtains, cet homme. Pourquoi y repensait-il ? Il l'ignorait, mais un sourire étira les commissures de sa bouche.
— Euh… rebonjour, il me faudrait un autre livre.
— Bon… bonjour, à nouveau. Vous avez déjà fini celui de ce matin ?
— Quasiment, quand le livre me plaît, je peux le dévorer à toute vitesse. En fait, il en faudrait un pour ma sœur, "La fille attachée" de Lisa Gardner, je crois, dit-il en fronçant les sourcils sur un bout de papier.
— OK, je vais regarder, et pour vous ?
— "Tout est anal" de Stephen King.
Olivier qui déjà saisissait sur son ordinateur la première recherche releva la tête en entendant le second titre. Le chaland sentit la gêne provoquée.
— Pardon ?
— De Stephen King, "Tout est fatal", ce n'est plus édité ?
— Euh, eh bien, si, si sans doute. Je… je ne crois pas l'avoir en rayon, mais… mais il est sans doute possible de le commander, bégaya le libraire en se demandant s'il n’avait pas compris de travers au tout début.
Il s'échina sur la base de données pour tenter de trouver le premier roman que le client demandait, mais le résultat restait sans appel "aucune réponse" Il haussa les épaules légèrement en croisant le regard du jeune homme, il ne sut définir pourquoi mais il en ressentit un frisson bienveillant. Olivier se concentra de nouveau sur l'écran et essaya cette fois-ci uniquement avec l'auteur énoncé, "Lisa Gardner". Vingt-cinq notices apparurent alors, et il en parcourut la liste avant d'annoncer :
— Ne serait-ce pas plutôt "La fille cachée" ?
— Eh bien, je ne sais pas, mais connaissant ma sœur, c'est possible, dit-il dans un sourire en consultant son bout de papier.
Il orienta son visage vers l'entrée de la librairie et lança un « Jeana ! » avec un signe de main, avant de se retourner vers le vendeur :
— Vous pourrez vous moquer d'elle directement… s'amusa-t-il.
Olivier jeta un coup d'œil en direction des caisses et quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il reconnut la jeune femme qui marchait dans un rayon de soleil filtrant au travers des vitres.
— Je n'en ferais rien…
— Vous ne savez pas quel bien ça procure de l'embêter…
— D'embêter qui ? s'enquit une voix féminine.
Elle était devant lui, ses cheveux châtains encadraient de sublimes yeux amandes, exactement comme dans ses souvenirs.
— Ben toi en fait. Pour qui m'as-tu fait passer devant…
Il n'osait rien dire, il désignait d'un geste de la tête Olivier.
— Mais quoi ?
— Jeanaëlle, tu as changé un titre !
— Moi ?
— En fait, vous aviez noté "La fille attachée" alors qu'il s'agissait de "la fille cachée".
— Roohh, c'eut été tellement plus drôle et certainement plus sexe… ajouta-t-elle sans se démonter avec un immense sourire radieux.
— Ce n'est pas faux, ajouta Olivier, complètement envoûté.
— Ah oui ? Une chose à ajouter ? demanda-t-elle en s'approchant et en posant son coude sur le rebord de la borne d'information, index sous le menton dans une moue charmeuse.
— Euh, non.
— Bien. Alors vous l'avez mon livre ?
— Oui, juste là, sur la table.
— Parfait, je vais en prendre un. Merci sincèrement. Au revoir.
Elle s'éloigna, pratiquement sautillante, telle une enfant, son frère quant à lui plaça deux doigts sur le côté droit de son front et les releva en un signe de salut, presque amical avant de suivre sa sœur.
Olivier reprit sa routine jusqu'à vingt heures, il avait obtenu le droit de quitter son poste quelques heures avant que le rideau ne s'abaisse pour compenser les différentes fermetures des dernières semaines.
Il sortit de la librairie, en prenant le temps de flâner dans les rues. Pour une fois, il n'était pas pressé. Il s'offrit même le luxe de s'installer en terrasse et de boire une bière. Il soupira d'aise, il avait aimé cette journée. Pourtant, il se sentait observé.
Soudain, une tape sur l'épaule. Il sursauta. En détournant la tête, il fut surpris par deux visages souriants.
— Hey, mais c'est notre libraire préféré, glissa la jeune femme en passant son doigt sur l'arrête du visage d'Olivier. Vous permettez ?
— Euh, oui bien sûr, allez-y.
Ils discutèrent durant près d'une heure, échangeant, faisant connaissance. Adrian, le frère de Jeanaëlle, était un employé de banque ce qui lui permettait de finir assez tôt ces journées de boulot. Sa sœur, de son côté, n'exerçait aucun emploi, elle vivait sur la fortune familiale. Adrian, pour blaguer, avait ajouté que de toute façon il était impossible pour elle de travailler et de s'occuper de ses cheveux, ses ongles, son maquillage, ses fringues… qu'il n'y avait pas assez d'heures dans une journée… ce qui lui valut une tape sur le bras de la part de l'intéressée.
Plus les aiguilles tournaient et plus Olivier s'agitait sur sa chaise. Il regardait frénétiquement sa montre. Le soleil se couchait ce soir aux environs de vingt-deux heures, mais le stress des autres soirées le poussait à se mettre à l’abri le plus tôt possible.
La fratrie ne paraissait nullement s'inquiéter et recommanda une tournée. Olivier but quelques gorgées tout en se balançant de plus en plus sur sa chaise.
— Je… je suis désolé. Je vais devoir y aller. Je vous remercie pour le verre…
— Quoi ? Ah non, t'es pas bien là ? s’enquit Adrian.
— Si, si bien sûr. C'est juste que la nuit ne va pas tarder à tomber et que…
— Roohh, ne t'inquiète pas. On va à une soirée après, viens avec nous !
— Ah bien, je…
— Roohh, ne fais pas ton timide, ajouta Jeana tout en faisant courir son doigt sur le visage du libraire.
— Oui, viens avec nous, ce sera cool. Faut savoir s'amuser dans la vie. Si c'est le fait d'être dans la rue une fois le soleil couché qui t'inquiète, t'en fais pas, on peut dormir là-bas, ajouta Adrian en se redressant sur sa chaise et rapprochant ses mains de celles d'Olivier.
Plus le frère parlait et plus il se rassérénait, comme si sa voix avait un effet apaisant, ou alors c'était autre chose…
Ils insistèrent encore un peu et il accepta. Dès lors tout se déroula très vite. Jeanaëlle posa un billet sur la table et se leva, intimant aux deux autres de la suivre. Les lampadaires s'allumèrent, signe que les dangers de l'obscurité guettaient.
Olivier tremblait ; inquiétude. Il tanguait ; alcool. Il n'avait pourtant pas bu tant que ça. Il tenta de s'éclaircir les idées, forçant ses paupières à rester ouvertes, en vain. Il cligna des yeux et le battement frénétique de ses cils trancha sa vue au point d'arrêter le temps ; arrêt sur image. Jeana et Adrian, visages déformés, oreilles acérées, stries sur les pommettes, lèvres tachées de sang… vision fugace, brume des sens. Vues de l'esprit se dit-il en continuant d'avancer. Il secoua la tête, observa de nouveau ses comparses… normalité.
Au bout d'une dizaine de minutes, ils parvinrent devant un grand bâtiment à l'allure ancienne, ceint par une cour carrée, le tout cerné par de hautes grilles. En dehors de leurs respirations, aucun bruit ne sortait de la bâtisse, ce qui intrigua Olivier.
— Vous êtes certains que c'est ici ?
— Oui. C'est très très bien isolé. Personne ne t'entendra crier…
— … de… quoi ? paniqua-t-il.
— De plaisir, voyons, conclut-elle avec un petit grognement sexy.
Elle se jeta sur sa bouche, l'embrassant goulûment en partageant une œillade avec son frère. Olivier voulut la repousser, mais son corps ne s'exécuta pas, après tout il avait déjà rêvé d'elle et si le réveil n'avait sonné, que serait-il arrivé dans le monde des chimères ? Sans desserrer ses lèvres des siennes, elle l'obligea à reculer en direction de la maison. Elle conduisait dans cette danse, sans que cela ne le gêne réellement, elle le pilotait tel un pantin. Il ne chuta pas dans les marches du perron, avec doigté elle le dirigeait. Ils franchirent la porte gagnant l'obscurité, mais Olivier ne la remarqua pas, il fermait les yeux, il se montrait gentleman, toujours fermer les yeux pendant un baiser. Outre les gonds fantomatiquement grinçants, le silence régnait, mais il ne s'en émut guère. Elle se sépara de lui un instant, lui intimant de rester en aveugle. Juste le temps pour lui de reprendre son souffle qui lui amena le petrichor, il aimait cette odeur, elle avait le don de le rendre heureux. Puis, de nouveau on lui prenait la bouche, il fut entraîné dans une autre direction, mais le contact était différent. Il effleura son visage et poursuivit sa route à tâtons. Son toucher lui révéla le piquant, d'une barbe ce qui le surprit et il faillit rompre le baiser, mais une vague de bien-être l'envahit. Sa langue pourfendit la barrière des dents avec plus de force.
Une porte s'ouvre et une musique énergique éclate, il calque sa respiration sur le bit musical. Son partenaire, porté par ce baiser, commence à lui caresser le dos, Olivier l'imite. Brusquement, deux mains l'agrippent au niveau des fesses et le soulèvent, sentiment de légèreté ; flotter. Sa perception de la pièce change, se renverse, bascule et son dos percute une surface douce et moelleuse. Grincements métalliques, rebonds, ressorts. Souffle chaud sur le côté de son cou, il n'est pas inquiet, il sait que c'est Jeana, il essaye de la localiser en fonction des froissements du tissu. Son corps tout entier vibre. Il saisit les hanches d'Adrian et échange leur position. Il domine, il se sent fort. Tout en conservant les yeux clos, il rompt la liaison buccale, ne se fie qu'à son toucher pour évoluer entre ses deux partenaires. Frissons sous les frôlements chatouilleux.
Jeana déchire le t-shirt d'Olivier avant que ses doigts courent sur la peau nue de celui-ci. Ses manières deviennent plus sauvages et ce sont ses ongles qui parcourent son cuir. Le sang perle. Il a mal, mais ça l'électrise, l'excite plus encore. Il ne résiste pas, se laisse aller. Cliquetis métalliques. Le poignet gauche d'Olivier se fait menotter et accrocher devant lui. Adrian, qui paraissait frêle, parvint à déchirer le jean du trentenaire. Ce dernier bascule sur le côté, aidé par la demoiselle et celle-ci en profite pour empoigner le sexe du jeune homme, le caressant de ses paumes, sa bouche et elle passa le relais à son frère qui s'amusa lui aussi. Olivier a chaud, le souffle rauque de l’extase, le plaisir qu'il ressentait atteignaient son paroxysme. À cet instant, la frontière est mince et les sensations à peine différentes. Le liquide jaillit de son sexe. Ses muscles pectoraux se bandent et ses mâchoires se crispent. Coups de langue, sussions sur son pénis. Les caresses sur son ventre accélèrent. Il se décontracte un peu et perçoit une exquise fatigue. Froid. Craquètements. Ses doigts glissent sur une surface velue, cheveux courts, continuant son exploration, la zone de pilosité était grande… trop grande… étrange.
Alors il ouvrit les paupières et ce qu'il vit lui coupa la respiration.
Il était face à deux Créatures, un vampire aux dents aiguisées et une louve aux crocs acérés. Ils étaient tout tachés de sang, son sang, ce liquide qui s'était expulsé de lui. Lorsqu'il comprit, la douleur gagna son cerveau, il hurla, tenta de retirer sa main.
Trop tard.
D'un commun accord, ils se jetèrent sur sa gorge.
Rouge…
Noir…
Néant.
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