Bonjour à tous,
Voilà un tout petit peu plus d'un an, je
me suis lancé dans un défi fou (même pour moi). Un défi que ma chère amie
Carole m'a donné.
C'était un matin, elle me demandait mon
avis sur une idée de texte qu'elle avait eu. Après lecture, elle m'a expliqué
de quoi il s'agissait. C'était à l'occasion d'Octobre Rose (le mois dédié à la
lutte contre le cancer du sein). Fleur Hana, une jeune auteure, souhaitait créer
un recueil dont les bénéfices résultants des ventes soient reversés à
l'association Étincelle qui accompagne les femmes touchées par cette maladie
dans leur combat, dans cette bataille pour survivre.
Carole voulait que je participe, mais je
n'avais vraiment pas d'idée et en plus il était l'heure pour moi de partir au
boulot. Mais le temps d'arriver sur mon lieu de travail (moins de 10 minutes)
je lui envoie un SMS, j'avais eu une idée qui ne me semblait guère terrible...
elle était emballée.
Le soir même, j'ai écrit un premier
jet qu'elle a lu et après quelques modifications de tournures et suppression de
répétitions (son petit plaisir personnel), j'ai transmis mon texte au comité de
lecture.
Miracle, ce dernier m'a sélectionné...et
dans la folie Carole aussi, ainsi que notre amie Kinder. Ce fut une belle
expérience de groupe.
Après cette année écoulée, je vous laisse
le découvrir ou le redécouvrir.
N'hésitez pas à laisser un commentaire
pour donner votre avis.
Merci.
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L’effeuillage
Jeanne marchait dans la rue en ce jour d’été, se tamponnant parfois le front pour capturer les perles de sueur naissantes. Les artifices lui donnaient chaud, mais elle s’en moquait, il s’agissait d’un combat qu’elle était prête à mener ; elle voulait tenter de vivre normalement.
Lorsqu’elle arriva à un croisement, elle repéra un bar et décida de s’offrir un petit rafraîchissement. S’asseyant à une table libre sur la terrasse, elle nota qu’un groupe de six amis était assis à proximité et l’observait en s’esclaffant. Jeanne lança une oeillade dans leur direction, et se dit qu’elle se faisait des idées ; à première vue ils avaient la trentaine comme elle, ils riaient certes, mais pas d’elle, pas à cet âge.
Pourtant, elle ne put s’empêcher de tendre l’oreille et elle les entendit :
— Nan, mais sérieux, regarde la tonne de maquillage qu’elle porte, c’est un pot de peinture, j’te dis.
Le maquillage, lui permettait à plus que n’importe qui d’autre de cacher camoufler le manque de vrai sommeil, les tracas de la vie… Alors ce qu’elle écouta la toucha profondément, mais essaya de ne rien montrer.
Un serveur lui demanda ce qu’elle désirait, et elle répondit « une simple eau citronnée ».
— C'est pas une nana, c’est un trav' qui a trop maigri.
— Ouais trop…
Le garçon de café revint et déposa le verre devant Jeanne, elle le remercia sans lui prêter la moindre attention. Elle fixait toujours le petit groupe.
— Même Big Mat a plus de seins qu’elle… dit l’un d’eux avant de rire à nouveau.
— Ouais, il fait vraiment pitié !!!
— Pourtant, j’croyais que les hormones qu’ils prenaient les faisaient se développer…
— Je croyais aussi.
Jeanne n’en pouvait plus, qu’espérait-elle après tout… Elle devait se blinder ; affronter de nouveau le monde n’était pas si aisé. « Non, je dois continuer à vivre. » Elle s’accorda une grande inspiration et se releva un peu vite, lui causant un vertige. Expiration.
Elle se planta devant eux et leur dit :
— Ne vous en déplaise, je suis une femme depuis ma naissance.
— Mais bien sûr, Madame, répondit l’un d’eux en décrochant avec soin chaque syllabe du dernier mot.
Jeanne se mordilla les lèvres, le corps parcouru des tremblements de la peur. Peur, car elle était seule face à six individus légèrement éméchés. Qu’est-ce qui lui avait pris de se lever ainsi ? Ça ne lui ressemblait pas. Elle se sentait vexée, blessée qu’ils aient osé la confondre avec un homme… N’était-elle plus femme ? N’y avait-il que ça ? Non, la colère aussi s’insinuait en elle. Bande d’ignorants.
Elle retourna à sa table et se saisit de son verre. Elle se tourna à nouveau effectua une nouvelle fois la distance qui la séparait de leur table. La jeune femme commença par tremper un mouchoir dans son eau citronnée et se le passa sur la figure. Dans le sillage du tissu imbibé, le maquillage s’effritait, révélant ainsi un faciès fatigué, les traits tirés, les joues creusées.
L’air absente et triste, elle finit son démaquillage en retrempant plusieurs fois son mouchoir. Les individus s’étaient tus, mais gardèrent un rictus moqueur.
Alors Jeanne, tout en fermant les yeux, retira sa perruque qui lui donnait si chaud. Elle révéla ainsi un crâne rougi par le contact du postiche où quelques cheveux avaient survécu à la chimio. Le vent caressa doucement son crâne dégarni, ce qui lui fit du bien. Elle sourit faiblement.
Elle nota que les jeunes gens étaient maintenant mal à l’aise, sans doute comprenaient-ils enfin.
De les voir ainsi lui redonna plus de courage et les commissures de ses lèvres s’élargirent encore. Alors elle acheva son effeuillage en déboutonnant son chemisier pour ensuite retirer sa brassière… Elle arborait, en lieu et place de ses attributs, qu’elle considérait jadis comme les marqueurs de sa féminité, deux cicatrices…
Les six individus blêmirent soudainement. Jeanne se redressa fièrement, son minois rayonnant. Elle se dit qu’elle avait gagné une bataille. Pas sur le front de la maladie, mais sur celui du regard des autres. Elle se sentait plus forte maintenant que lorsqu’elle était sortie de son appartement. Elle déposa un billet de 5 € sous son verre, remit son chemisier et reprit son chemin, perruque à la main.